Propriétaire, Libre et Open Source

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Profils-clés : Richard Stallman, Projet GNU, FSF, Francis Muguet, GPL, GNU/Linux, Creative commons, Wikipedia, Ynternet.org


Pour bien comprendre qui contrôle quoi dans la circulation de l'information, sous quelque forme que ce soit, il faut connaître la différence entre libre, ouvert et exclusif (ou propriétaire).

Open source, cette expression est de plus en plus utilisée pour décrire les nouveaux modes d'innovation informatique, technologique et économique. On l'emploie désormais à toutes les sauces, parfois de manière abusive. Quelle est donc la différence entre l'open source et le terme libre, tel qu'employé dans « logiciel libre » ou « culture libre » ? Cette distinction est source de désaccords entre les partisans de l’open source et ceux du logiciel libre, ce depuis la fin des années 1990. Retour sur ces notions au cœur de l'eCulture, qui bousculent le modèle dominant : celui de l'exclusivité.


La culture de l'exclusivité

Dans l'industrie de l'édition ou celle du show-business, les auteurs cèdent leurs droits de diffusion à des producteurs et/ou éditeurs, qui les monnayent auprès de distributeurs. Vous avez déjà eu vent de ces chiffres impressionnants : un milliard de recettes pour le dernier film hollywoodien qui vient de sortir, 300 euros la place pour assister au concert de la superstar qui fait sa réapparition après sa cure de désintox'. Mais attention, interdit de prendre des photos ou de les partager, c'est du vol ! L'avertissement le dit bien au début du film : vous n'iriez pas braquer une banque, alors pourquoi copier un DVD ?

Le showbiz concentre les intérêts privés dans un nombre restreint de producteurs et d'actionnaires. Ce modèle dominant sert les intérêts de majors, une poignée de grands groupes dont les bénéfices reposent sur les contrats d’exclusivité. Leur mode de fonctionnement : faire signer aux créateurs, auteurs ou artistes un contrat promettant le jackpot à ceux dont les œuvres seront les plus commercialisées via les canaux de distribution, tenus par ces mêmes majors.

L'exclusivité protège l'auteur, mais le prive aussi de la possibilité de faire jouer la concurrence en utilisant plusieurs moyens de diffusion. Cependant, les limites artificielles imposées par les producteurs/éditeurs entrent aujourd'hui en collision avec les nouvelles fonctionnalités numériques (utiliser, copier, distribuer et modifier une œuvre en quelques clics).

Les propriétés du numérique permettent l'émergence d'une culture du libre partage, basée quant à elle sur un autre type de contrat pour régir l'usage des œuvres. Bien qu'utilisés depuis les années 1990, ces nouveaux termes restent peu connus du grand public. On les appelle les licences libres et les licences open source, chacune proposant quelques nuances. Elles s'appliquent à toute création, de la plus avant-gardiste jusqu'au mode d'emploi le plus habituel et austère. Elles commencent à remporter une large adhésion, notamment à travers les licences dites Creative Commons utilisées sur Wikipedia et ailleurs, par des millions de créatifs dans tous les domaines.

Ces nouveaux codes détricotent le modèle dominant de cession exclusive des droits d'auteur. Alors que la culture de l'exclusivité interdit aux auteurs la possibilité de diversifier les modes de production et de diffusion qui leur permettraient de se confronter à tout moment au public, le modèle émergent ne conserve qu'une seule obligation incontournable : la mention de la paternité de l'œuvre par ses nouveaux adoptants (ou utilisateurs).

Avec internet, le modèle exclusif s'érode. Notamment parce que les limites entre producteurs et consommateurs s’estompent, chacun pouvant désormais passer d'un rôle à l'autre avec fluidité.

Les artistes eux-mêmes sont de moins en moins satisfaits du modèle dominant : combien d’entre eux se plaignent de leur maison d'édition, qui les tient en otage, soit en ne reversant pas les droits, soit en les empêchant de distribuer leurs œuvres par leurs propres canaux ? Une fois dans le système, ils ne peuvent même plus choisir de faire don de leurs créations (une chanson, un film ou une illustration dont ils sont pourtant les auteurs) en vue de soutenir un événement, une cause ou tout simplement pour asseoir leur notoriété.

À l'origine était le logiciel « Libre »

Comme presque toujours dans la culture numérique, c'est dans le vivier des spécialistes de l'informatique que les nouveaux concepts émergent, s'affinent, se pratiquent puis se distinguent progressivement les uns des autres. Un bref rappel historique permet de comprendre que la culture de l'exclusivité n'existait pas au départ dans le monde du logiciel.

A l'époque des premiers ordinateurs, le matériel constituait la première source de revenus des fabricants d'équipement informatique, le logiciel n'étant qu'un moyen d'en faciliter la vente. L'accès au code source, l'information essentielle, était normal, car nul n'achetait un ordinateur sans disposer d'une équipe de programmeurs capables de le modifier à loisir pour l'adapter aux besoins spécifiques de leur organisation. Les milieux professionnels et universitaires s'échangeaient volontiers logiciels et codes sources, et les constructeurs les leur cédaient sans contrepartie, et sans même prendre garde aux termes (licences) régissant l’usage de ces codes logiciels.

Cependant, les lois antitrust finirent par leur interdire ces pratiques afin de permettre l'exercice d'une concurrence dans ce domaine[1] : l'industrie du logiciel était née.

Au début des années 70, les constructeurs commencèrent alors à facturer séparément leurs logiciels ; en quinze ans, l'avènement de la micro-informatique généralisa ce modèle et donna un essor à de nouveaux acteurs, les éditeurs de logiciels, qui s'orientèrent vers la vente de licences d'utilisation. Un exemple souvent cité pour illustrer ce tournant est la lettre ouverte de Bill Gates aux hobbyistes[2], en 1976, sommant les passionnés d'informatique personnelle de cesser de copier illicitement les logiciels protégés par le copyright.

C'est dans ce contexte, années 80, qu'un certain Richard Stallman (alias RMS), programmeur au Massachusetts Institute of Technology (MIT), commence à pâtir de ces restrictions d'usage. Alors qu'il essaye de réparer un pilote d'imprimante[3], il se voit refuser l'accès au code source. Énervant pour un programmateur ! RMS se trouve par ailleurs obligé de développer des logiciels dont l'utilisation sera restreinte et qui ne pourront pas être partagés en raison des choix du propriétaire du logiciel (souvent autre que son créateur). C'est pour lui un problème éthique.

Bien qu'anecdotique, cette petite histoire est souvent citée comme le point de départ de l'informatique libre. C'est en effet à ce moment que Richard Stallman quitte le MIT pour consacrer son énergie à résoudre ce problème de conscience. Il deviendra le premier et le plus emblématique des ambassadeurs du logiciel libre.

Les quatre libertés fondamentales du Libre

Les idées d'avant-garde de Richard Stallman ont abouti en 1984 au projet GNU, système d'exploitation libre (pour ordinateur). Le projet GNU a été lancé afin de « ramener l'esprit de coopération qui prévalait dans la communauté hacker dans les jours anciens », alors que le cadre légal n'était pas encore bien posé, et que tous les codes sources s'échangeaient librement. Stallman est aussi à l'initiative de la création de la Free Software Foundation (FSF), en 1985, et de la première licence logicielle libre, en 1989, la Licence Publique Générale GNU (dite GNU GPL).

L'adjectif libre implique quatre libertés fondamentales telles que définies par la Fondation pour le Logiciel Libre1 (Free Software Foundation, FSF)[4]. Initialement, l'usage de l'expression libre dans la société de l'information se réfère au code d'un logiciel et donne à l'utilisateur d'un logiciel libre :

1. La liberté d'exécuter le programme, pour tous les usages (liberté 0) ;

2. La liberté d'étudier le fonctionnement du programme, et de le modifier pour qu'il exécute le travail informatique comme vous le souhaitez (liberté 1). L'accès au code source est donc une condition nécessaire ;

3. La liberté de redistribuer des copies, donc d'aider votre voisin (liberté 2) ;

4. La liberté de distribuer des copies de vos versions modifiées (liberté 3). En faisant cela, vous pouvez faire profiter toute la communauté de vos changements. L'accès au code source est, ici encore, une condition nécessaire.

Du libre naît l'open source

Les motivations du projet GNU relèvent de l'éthique et de la philosophie politique. Il vise en effet à ne pas laisser l'homme devenir l'esclave de la machine ni de ceux qui auraient l'exclusivité de sa programmation, ni de cartels monopolisant des connaissances en fonction de leurs seuls intérêts. Le projet GNU œuvre pour une libre diffusion des connaissances, ce qui n'est pas sans implication politique, éthique, philosophique et sociale.

Cette radicalité a provoqué des résistances, même au sein des partisans de la libération du code source. Dès les années 1990, l'émergence de la culture libre et du copyleft rencontre plusieurs obstacles :

  • le mot free est trop confus : en anglais, il veut aussi dire gratuit, ce qui n'est pas toujours le cas d'un logiciel libre, mais peut être celui d'un logiciel propriétaire (le client peut devenir la marchandise[5]).
  • certains utilisent le logiciel libre pour des raisons techniques sans aucune sensibilité citoyenne, contrairement à Stallman ;
  • certains partisans de la culture libre trouvent la démarche de la FSF trop dure à populariser dans un monde où le modèle dominant abuse des droits d'auteurs pour restreindre les libertés. Ils préconisent une démarche moins ambitieuse que celle de Stallman. Pour eux, la meilleure manière de faire avancer le libre, c'est de le dépolitiser, de ne pas imposer un choix de société, mais de mettre en avant les nombreux avantages techniques.

Dans ce choc d'attitude, Stallman reste ferme. Le terme open source fait alors son apparition à la fin des années 1990. En 1998, l'organisation Open Source Initiative naît d'une scission de la communauté du logiciel libre afin de proposer un modèle de développement plus facilement assimilable au vu des réalités économiques et techniques de l'époque.

Comme la FSF, le mouvement open source défend la liberté des utilisateurs d'accéder aux sources des programmes qu'ils utilisent. Il vise une économie du logiciel dépendant davantage de la vente de prestations associées au logiciel et non plus de licences d'utilisation. Mais l'open source s'affranchit des considérations philosophiques et politiques. C'est ici que se situe la distinction fondamentale entre ces deux courants.

Les uns se réclament d'un choix citoyen et d'une vision de société (les tenants du libre), les autres se réclament d'une utilité technique : la mise à disposition de l'information améliore la qualité du produit et sa commercialisation. L'open source effraie moins le client : les entreprises ne font pas de politique.

Une limite qui reste floue

La distinction entre l'open et le libre n'est pas aisée à saisir. Certains utilisent les pratiques open avec beaucoup d'éthique, d'autres utilisent le terme « libre » sans conscience des implications, ou pour surfer sur un phénomène de mode de langage.

Les partisans du libre accusent l’open source d'être mû par la dynamique financière de multinationales. Ils soulèvent une question de fond. Un exemple : Google, tout en fonctionnant avec des logiciels open source, avec la mention de la Free Software Foundation, privatise les données des utilisateurs pour les revendre à des annonceurs. Ces données atterrissent dans une boîte noire, un environnement numérique fermé, où règne à nouveau la culture de l'exclusivité et du secret.

Qui a déjà eu accès à ses données personnelles collectées par Google ? Qui a déjà pu dialoguer avec son double numérique  ? Ces interrogations se généralisent à toutes les solutions Cloud (nuage) ou SaaS (Software as a Service) : les services en ligne fonctionnent de plus en plus avec des pratiques et outils open source, mais ils présentent aussi le risque de voir nos données personnelles utilisées à des fins que nous ne cautionnons pas. Au niveau individuel, les conséquences ne semblent pas très importantes, mais à l'échelon collectif, les enjeux sont majeurs.

En pratique, la plupart des licences open source satisfont aux critères du libre, selon la Free Software Foundation, les différentes subtilités qui les distinguent étant principalement d’ordre philosophique. Mais seules certaines licences, dont la GNU GPL (du projet GNU de Richard Stallman), offrent ce qui est appelé le copyleft en garantissant qu'un logiciel libre le reste, même après modifications : on ne peut pas changer la licence d'une création si son auteur a opté pour le copyleft.

Les licences dites copyleft permettent ainsi de protéger les libertés des utilisateurs, le code source des logiciels restera à jamais libre, annulant ainsi la possibilité de le privatiser ou de le breveter. Elles sont les seules à assurer une redistribution du code d'un programme (ou d'une information) éternellement, ce qui favorise l'équité entre producteur et consommateur ainsi qu'une coopération pérenne au sein de la communauté des utilisateurs.

Des licences à géométrie variable

Dans le domaine logiciel, l'Open Source utilise aussi les quatre libertés, mais se focalise sur l'intérêt technique et commercial du partage, en ignorant ou minimisant la question de l'éthique, de la transparence, de l'accès. C'est ainsi que de nombreuses compagnies, dont Google et IBM, utilisent les termes Linux et non pas GNU/Linux, et le terme Open Source et non pas Libre, car elles mélangent des morceaux de logiciels libres avec des parties dont ils vendent l'exclusivité. Par exemple : Google Play vend des applications payantes et Google Adwords vend des espaces publicitaires exclusifs, sans donner le code qui permet de gérer ces services.

Dans le domaine non-logiciel, le terme Open Source est souvent utilisé à tort. Il arrive même qu'il soit accompagné de la mention « some rights reserved » (quelques droits réservés), ce qui signifie que certaines des quatre libertés sont octroyées, d'autres pas.

Quand Open et Libre se rejoignent

Open et libre peuvent constituer une double porte d'entrée à l'émergence d'une société plus transparente, plus citoyenne. Si le libre impose d'emblée une vision engagée, l'open peut aussi arriver au même résultat par sa vision plus pragmatique.

L'approche du libre peut être vue comme top-down : la vision prime sur le réel, les idées président aux actes. Les garde-fous idéologiques sont posés en premier.

L'approche open source peut être qualifiée de bottom-up : elle part de constats techniques sur le terrain et développe des modes de fonctionnement collaboratifs qui créent une spirale vertueuse où est associé l'humain : meilleure qualité du produit, coopération entre collaborateurs, entraide au sein d'une communauté, etc.

Par sa neutralité philosophique, l'Open peut être un formidable outil de gestion entrepreneuriale comme... de gestion politique.

Un exemple : le courant Open data (données ouvertes)[6], qui milite pour une transparence des informations, s'attaque aux données publiques. Pour faire passer ses revendications, cette démarche citoyenne (qui n'évoque pourtant pas le Libre) peut s'appuyer sur le grand argument en faveur de l'Open : c'est bon pour la qualité du service au public

Les fonctions et pratiques de l'open, lorsqu'elles sont utilisées avec des intentions citoyennes, rejoignent aisément les objectifs du libre. D'où l'inconfort des politiques qui voient d'un œil méfiant cette demande émergente en faveur d'une libération des données... même « publiques ».

Salutation à Francis Muguet

Chercheur français, Francis Muguet a mené la délégation des promoteurs du Libre au sommet de l'ONU sur la société de l'information. En 2001, puis 2003, il a réussi un tour de force politique aux côtés de Richard Stallman, fondateur du mouvement du logiciel libre, au service du bien commun et de l'éthique numérique. Les gouvernements ont signé une déclaration finale en faveur de la culture du Free/Libre, et non pas de l'Open/Ouvert.

C'est la reconnaissance de millions d'heures de débats dans les forums sur internet depuis le milieu des années 90 sur les enjeux de société qui se cachent derrière ces deux termes. Depuis, on peut dire que Libre est le terme officiel des citoyens du net et des gouvernements démocratiques. Dans la pratique, Open Source est plus usité, car les journalistes, faiseurs d'opinions, n'ont que trop rarement saisi les enjeux qui se cachent derrière ces termes. Membre du conseil scientifique d'Ynternet.org, Francis Muguet passait parfois dans les bureaux où ces lignes furent écrites. Il s'est éteint en septembre 2010. Ce paragraphe lui rend hommage.

Notes et références

  1. Article « Histoire du logiciel libre », Wikipedia.
  2. Article « An Open Letter to Hobbyists », Wikipedia.
  3. Robert Sproull aurait refusé de lui fournir le code source en raison d'un contrat de non-divulgation que Xerox avait passé avec lui, pratique encore peu courante à l'époque.
  4. Voir gnu.org, Qu'est-ce que le logiciel libre?
  5. Voir Xavier de la Porte Quand vous ne voyez pas le service, vous êtes le produit. InternetActu.net.
  6. On peut citer l'exemple de l'Open data en matière de santé, menée par Initiative transparence santé: « Ces données qui composent le paysage de l’offre sanitaire sont aujourd’hui quasi inaccessibles aux acteurs du secteur souhaitant informer les usagers. De ce constat est née l’Initiative transparence santé, un regroupement d’acteurs de la société civile en provenance d’horizons divers. Nous défendons la position qu’un partage plus large des données sur le système de soins améliorerait la transparence sur son fonctionnement et ses performances et encouragerait le développement d’outils permettant à l’usager de comparer le coût et la qualité des services de santé. Ces objectifs peuvent être atteints dans le strict respect de leur anonymat qu’en aucun cas évidemment nous ne remettons en cause. »