Des cathédrales aux bazars : Différence entre versions

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(Notes et références)
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Cathédrale, bazar ? De quoi parle-t-on ?  
 
Cathédrale, bazar ? De quoi parle-t-on ?  
  
Le monde de la matière est assemblé selon certaines logiques dimensionnelles. Les organisations humaines sont également le résultat de ces logiques.
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La matière s'assemble selon des logiques dimensionnelles : hauteur, largeur...
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Les informations, les idées, les organisations sociales sont également le résultat de ces logiques.
  
 
Certaines organisations sont assemblées suivant la forme de la «cathédrale». D'autres organisations sont assemblées en suivant la forme du «bazar».
 
Certaines organisations sont assemblées suivant la forme de la «cathédrale». D'autres organisations sont assemblées en suivant la forme du «bazar».
Le système en cathédrale fonctionne selon la hiérarchique de statut, à la verticale ou sous forme pyramidale. Le pouvoir se trouve au sommet avec de nombreux niveaux intermédiaires qui le séparent de la base. Cette hiérarchie pyramidale exerce un contrôle important sur la base, notamment en s'interposant dans la circulation de l'information et les prises de décision. Tout doit passer d'un échelon hiérarchique à l'autre, du haut vers le bas ou inversement, jamais de manière transversale. La plupart des États nations fonctionnent de cette manière. La plupart des entreprises aussi, où l'on doit toujours se référer à un supérieur hiérarchique.
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Le système social dit "en cathédrale" fonctionne selon la hiérarchique de statut, à la verticale ou sous forme pyramidale. Le meilleur statut, le pouvoir suprême, se trouve au sommet. De nombreux niveaux intermédiaires le séparent de la base. Cette hiérarchie pyramidale exerce un contrôle important sur la base, notamment en s'interposant dans la circulation de l'information et les prises de décision. Tout doit passer d'un échelon hiérarchique à l'autre, du haut vers le bas ou inversement, jamais de manière transversale. La plupart des États nations fonctionnent de cette manière. La plupart des entreprises aussi, où l'on doit toujours se référer à un supérieur hiérarchique. Il est fréquent de recevoir un courrier important, une décision officielle par exemple, signé par une personne qui a le "droit de signature", le statut de "responsable administratif"; alors qu'en fait le courrier a été préparé par d'autres personnes qui traitent ce dossier, des subalternes, et le signataire appose sa griffe quasiment les yeux fermés, voir même c'est la secrétaire un ou adjoint qui signe "pour ordre", ou alors on utilise un tampon avec la signature du chef. Au-delà de la signature, c'est toute la culture de la gestion qui est influencée par cette approche cathédrale.
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Plus largement, dans l'organisation cathédrale, la consommation est séparée de la production. Les consommateurs ne doivent pas comprendre ou modifier les produits qu'ils consomment.
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Bien différent est le fonctionnement des hiérarchies dans un bazar! Il n'y a pas de position dominante a priori. Chacun apporte sa proposition, son patrimoine, et partage. Ceux dont les contributions sont les plus intéressantes réussissent à réunir une communauté autour d'eux (fournisseurs et clients) et en deviennent naturellement leaders. L'organisation spatiale est donc bien plus horizontale, mais pas entièrement. Dans chaque petit groupe, non seulement chacun peut être le chef d'un petit morceau de l'activité, mais en plus, il peut y avoir plusieurs chefs. Donc la notion de chef se transforme en simple notion de (co-)responable d'activité, ponctuellement, et les responsables doivent sans cesse démontrer qu'ils méritent leur place, ou avoir la sagesse de réduire leur attente de pouvoir diriger, en (re-)devenant simple contributeur aux projets. Dans un bazar, influence d'un grand chef est moins grande, la pression moindre, les relations sont plus simples, basées sur l'expérience pratique, informelles, la réputation sans tache. Chacun peut donc participer à plusieurs groupes, parfois comme leader, parfois comme contributeur, et trouver diverses places en fonction des contextes. Cette modularité de la culture hiérarchique facilite la fusion des rôles entre consommateurs et des producteurs, encouragé à améliorer les produits et services pour leur propre usage.  
  
Bien différent est le fonctionnement du bazar! Il n'y a pas de position dominante a priori, l'organisation spatiale est horizontale. Chacun agit individuellement ou en petit groupe, avec des leaders qui doivent sans cesse démontrer qu'ils méritent leur place. Chacun doit partager ses expériences avec les autres selon des règles communes, parfois informelles et issues de l'expérience.
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== Un concept venu du logiciel libre ==
 
 
Dans l'organisation cathédrale, la consommation est séparée de la production. Les consommateurs ne doivent pas comprendre ou modifier les produits qu'ils consomment. Dans le bazar, les humains sont à la fois des consommateurs et des producteurs, encouragé à améliorer les produits pour leur propre usage.
 
  
== Un concept venu du logiciel libre ==
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Ces deux logiques ''cathédrale versus bazar'' ont toujours existé. Historiquement, la culture populaire focalisait l'idée de hiérarchie à celle de l'exploitation de l'homme par l'homme. La cathédrale s'opposait à l'anarchisme. Mais l'arrivée du numérique a permis d'affiner cette approche, et de faire émerger cette idée de hiérarchie bazar. Les communautés d'informaticiens ont servi de laboratoire d'idées. Car le numérique offre notamment la possibilité de laisser une trace de toutes les contributions, et donc de faire des choix plus raisonnés, basé sur la qualité de chacun à contribuer à un projet. L'idée de hiérarchie bazar, popularisée avec le monde des logiciels libres et à code ouvert, a servi de catalyseur pour faciliter ces transitions. C'est d'ailleurs un bon exemple des propriétés du numériques évoquées dans l'article "Eau, air, terre, feu, numérique : sacrées propriétés". Car justement, ce sont les propriétés d'instantanéité, de décentralisation, de symétrie, d'asynchronicité et de multilatéralité qui facilitent l'émergence d'organisations bazar .
  
Ces deux logiques ''cathédrale versus bazar'' ont toujours existé, mais il est entré dans le débat seulement depuis les années 1990. Le monde de l'informatique et de la programmation de logiciels a servi de laboratoire d'idées. L'apparition du bazar découle en effet des propriétés du numériques évoquées dans l'article "Eau, air, terre, feu, numérique : sacrées propriétés" : instantanéité, décentralisation, symétrie, asynchronicité, multilatéralité.
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Dans son livre ''la cathédrale et le bazar'' (1998), Eric S. Raymond analyse le succès de projets de logiciels libres, dont le code source est ouvert, générant par nature une organisation de type bazar, avec plein de petits groupes de travail qui interagissent et pouvant voir ce que tous les autres font. Le succès des logiciels libres, bien que peu connu, est fulgurant en fait dans l'économie mondiale. La majorité des pages web qui sont affichées tournent sur des logiciels libres, conçu par des gens s'organisant dans des hiérarchies de type bazar. Ceci démontre la cohérence certaines théories surprenantes sur la pertinence de gouvernance de projet basée sur le partage de l'information et l'équité des chances qui sont le propre de bazar. Et ça marche bien au-delà du logiciel, dans l'architecture, les arts, les machines agricoles... mais uniquement si on utilise des outils numériques pour coordonner nos efforts.
  
Eric S. Raymond, dans son livre ''la cathédrale et le bazar'' (1998), analyse le succès d'un projet de logiciel dont le code source est ouvert, fetchmail ("va chercher le courrier"), qui a été lancé délibérément pour tester certaines théories surprenantes du génie logiciel suggérées par l'histoire de Linux.
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En d'autres termes, le bazar n'entrave ni la réussite d'un projet ni la qualité de son résultat.  
<ref>Linux, système d'exploitation libre, est né dans le milieu hacker de la rencontre entre le développement collaboratif et décentralisé via Internet et le mouvement du logiciel libre.</ref> "Je discute ces théories en termes de deux styles de développement fondamentalement différents, le modèle ``cathédrale'' de la majorité du monde commercial, à opposer au modèle ``bazar'' du monde de Linux. Je montre que ces modèles dérivent d'hypothèses opposées sur la nature de la tâche consistant à déboguer un logiciel. Enfin, je m'efforce de démontrer, à partir de l'expérience apportée par Linux, qu'étant donné un nombre suffisant d'observateurs, tous les bogues sautent aux yeux" <ref>http://www.linux-france.org/article/these/cathedrale-bazar/</ref>.
 
  
En d'autres termes, le bazar n'entrave ni la réussite d'un projet ni la qualité de son résultat. C'est pourquoi Linux a réussi à s'imposer comme le système le plus utilisé sur les super-ordinateurs et les smartphones (selon wikipédia).
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Succès notoire : GNU/Linux, système leader pour les serveurs web, et Wikipédia l'encyclopédie en ligne dans le top10 des sites les visités au monde. Il existe plusieurs millions de projets bazar, qui comme wikipedia utilisent Internet mais ne sont pas des projets logiciels. Leur succès provient de leur qualité&nbsp;: ils sont améliorables continuellement par tous. Seule condition&nbsp;: respecter les règles de fonctionnement de la communauté. Là réside sans doute une des clés de la force du bazar. Ces projets fonctionnent grâce à des micro-hiérarchies de ''contributions'' (ex.&nbsp;: «Il a sans doute raison, car c'est lui qui a résolu le dernier bug sur cette partie du programme la dernière fois.&nbsp;»), dans l'esprit, justement, d'un bazar.  
  
GNU/Linux et Wikipédia sont leaders dans leur domaine respectif (serveurs et encyclopédie en ligne), pour ne citer que deux projets phares de la culture bazar. Leur succès provient de leur qualité&nbsp;: ils sont améliorables continuellement par tous. Seule condition&nbsp;: respecter les règles de fonctionnement de la communauté. Là réside sans doute une des clés de la force du bazar. Ces projets fonctionnent grâce à des micro-hiérarchies de ''contributions'' (ex.&nbsp;: «Il a sans doute raison, car c'est lui qui a résolu le dernier bug sur cette partie du programme la dernière fois.&nbsp;»), dans l'esprit, justement, d'un bazar. Ce nouveau système remplace progressivement le système de hiérarchie de ''statut'', symbolisé par des comportements comme&nbsp;:  
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Cette approche bazar remplace progressivement les hiérarchies de ''statut'', symbolisées par des comportements comme&nbsp;:  
  
 
* «&nbsp;j'ai raison, car je suis ton chef&nbsp;»&nbsp;;  
 
* «&nbsp;j'ai raison, car je suis ton chef&nbsp;»&nbsp;;  
 
* «&nbsp;j'ai raison, car j'ai fait cinq années d'études et toi seulement deux&nbsp;».  
 
* «&nbsp;j'ai raison, car j'ai fait cinq années d'études et toi seulement deux&nbsp;».  
  
La lutte pour le contrôle de l'information et des logiciels par une minorité n'est pas du tout nouvelle. Ce qui est nouveau, c'est l'approche dite ''bazar'' en tant que telle. Dans l'environnement bazar, comme ces producteurs sont aussi les consommateurs, ils peuvent faire évoluer le produit plus rapidement. Ceci n'est possible qu'à travers un partage important des informations, des expériences ou du code des logiciels.
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On voit ainsi que le pouvoir dans les organisations est intimement lié au statut, qui donne le droit ou non de contrôler l'information. Ce qui est nouveau, c'est justement que le numérique permet à ztzous de co-controler l'information c'est cela qui génère l'approche dite ''bazar''. Dans l'approche bazar, comme les producteurs sont aussi les consommateurs, ils peuvent faire évoluer ensemble les produit et services plus rapidement, car ils ont accès à toutes les informations nécessaire pour bien décider ensemble.
  
 
Et comme le monde numérique ne connaît pas les distances, tous peuvent y contribuer où qu'ils se trouvent et à tout moment. De plus, par leur nombre important, les acteurs du bazar identifient plus vite les problèmes et trouvent la solution rapidement.  
 
Et comme le monde numérique ne connaît pas les distances, tous peuvent y contribuer où qu'ils se trouvent et à tout moment. De plus, par leur nombre important, les acteurs du bazar identifient plus vite les problèmes et trouvent la solution rapidement.  
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== L'organisation économique doit revoir sa copie ==
 
== L'organisation économique doit revoir sa copie ==
  
Même si le fonctionnement en cathédrale est prédominant dans le modèle économique actuel, le bazar, notamment à travers la culture libre, est en train de bouleverser le rapport de force bien au-delà de la seule économie numérique.  
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Le fonctionnement en cathédrale reste prédominant dans le modèle économique actuel de ce début du 21e siècle. Mais le bazar, modèle organisationnel émergent, est en train de bouleverser le rapport de force bien au-delà de la seule économie numérique.  
  
Ces deux systèmes d'organisation se retrouvent notamment dans les médias. Les médias traditionnels exercent un quasi-monopole (du haut vers le bas) sur l'information et sont souvent intégrés dans des groupes transnationaux encore plus gros, qui produisent et vendent du matériel militaire, de l'électronique...
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Ces deux modes d'organisation se retrouvent notamment dans les médias. Les médias traditionnels exercent un quasi-monopole (du haut vers le bas) sur l'information et sont souvent intégrés dans des groupes transnationaux encore plus gros, qui produisent et vendent du matériel militaire, de l'électronique...
  
 
De la même manière, les géants de l'informatique (Microsoft, Apple, Google ou Facebook) maîtrisent totalement l'utilisation et le développement de leurs produits et se diversifient dans des domaines qui leur assurent de rester des groupes de dimension considérable et à hiérarchie verticale, des cathédrales, plutôt que de migrer vers des réseaux de petits groupes fonctionnant en bazar, horizontalement.
 
De la même manière, les géants de l'informatique (Microsoft, Apple, Google ou Facebook) maîtrisent totalement l'utilisation et le développement de leurs produits et se diversifient dans des domaines qui leur assurent de rester des groupes de dimension considérable et à hiérarchie verticale, des cathédrales, plutôt que de migrer vers des réseaux de petits groupes fonctionnant en bazar, horizontalement.
  
Ces entreprises cathédrales ne sont pas les mieux armées pour résister à l'invasion de la société numérique : la somme de multiples bazars, tous en réseau, représentant une concurrence sérieuse (on se rapproche du concept de la longue traîne, que nous détaillons dans un article dédié).  
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Ces entreprises cathédrales ne sont pas les mieux armées pour résister à l'invasion de la société numérique : la somme de multiples bazars, tous en réseau, représentant une concurrence sérieuse. On aborde alors le concept décrit dans l'article "la longue traîne" éponyme).  
En revanche, l'économie sociale et solidaire possède des propriétés similaires à celle du bazar, c'est pourquoi son modèle semble plus pertinent et adapté à l'ère du numérique. Rappelons ici ses valeurs, énumérées dans l'avant-propos :  
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En revanche, l'économie sociale et solidaire bazar, c'est pourquoi son modèle semble plus pertinent et adapté à l'ère du numérique. Rappelons ici ses valeurs et principes :  
  
 
* solidarité
 
* solidarité
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* bénéfice mutuel
 
* bénéfice mutuel
 
* bien-être social
 
* bien-être social
* liberté
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* liberté fondamentale
* innovation
+
* innovation ouverte
* service
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* vente de service plutôt que de produit
 
* gouvernance décentralisée
 
* gouvernance décentralisée
 
* partage de l'information
 
* partage de l'information

Version du 23 novembre 2012 à 14:52

cathédrale, bazar, culture libre, GNU/Linux



On accorde souvent plus d'attention et de prestige à une belle cathédrale qu'à un bazar (à l'apparence) anarchique. Pourtant, en ce qui concerne les modes d'organisation, d'entreprises ou de projets, ces a priori doivent désormais être remis en question.

Cathédrale, bazar ? De quoi parle-t-on ?

La matière s'assemble selon des logiques dimensionnelles : hauteur, largeur... Les informations, les idées, les organisations sociales sont également le résultat de ces logiques.

Certaines organisations sont assemblées suivant la forme de la «cathédrale». D'autres organisations sont assemblées en suivant la forme du «bazar». Le système social dit "en cathédrale" fonctionne selon la hiérarchique de statut, à la verticale ou sous forme pyramidale. Le meilleur statut, le pouvoir suprême, se trouve au sommet. De nombreux niveaux intermédiaires le séparent de la base. Cette hiérarchie pyramidale exerce un contrôle important sur la base, notamment en s'interposant dans la circulation de l'information et les prises de décision. Tout doit passer d'un échelon hiérarchique à l'autre, du haut vers le bas ou inversement, jamais de manière transversale. La plupart des États nations fonctionnent de cette manière. La plupart des entreprises aussi, où l'on doit toujours se référer à un supérieur hiérarchique. Il est fréquent de recevoir un courrier important, une décision officielle par exemple, signé par une personne qui a le "droit de signature", le statut de "responsable administratif"; alors qu'en fait le courrier a été préparé par d'autres personnes qui traitent ce dossier, des subalternes, et le signataire appose sa griffe quasiment les yeux fermés, voir même c'est la secrétaire un ou adjoint qui signe "pour ordre", ou alors on utilise un tampon avec la signature du chef. Au-delà de la signature, c'est toute la culture de la gestion qui est influencée par cette approche cathédrale. Plus largement, dans l'organisation cathédrale, la consommation est séparée de la production. Les consommateurs ne doivent pas comprendre ou modifier les produits qu'ils consomment.

Bien différent est le fonctionnement des hiérarchies dans un bazar! Il n'y a pas de position dominante a priori. Chacun apporte sa proposition, son patrimoine, et partage. Ceux dont les contributions sont les plus intéressantes réussissent à réunir une communauté autour d'eux (fournisseurs et clients) et en deviennent naturellement leaders. L'organisation spatiale est donc bien plus horizontale, mais pas entièrement. Dans chaque petit groupe, non seulement chacun peut être le chef d'un petit morceau de l'activité, mais en plus, il peut y avoir plusieurs chefs. Donc la notion de chef se transforme en simple notion de (co-)responable d'activité, ponctuellement, et les responsables doivent sans cesse démontrer qu'ils méritent leur place, ou avoir la sagesse de réduire leur attente de pouvoir diriger, en (re-)devenant simple contributeur aux projets. Dans un bazar, influence d'un grand chef est moins grande, la pression moindre, les relations sont plus simples, basées sur l'expérience pratique, informelles, la réputation sans tache. Chacun peut donc participer à plusieurs groupes, parfois comme leader, parfois comme contributeur, et trouver diverses places en fonction des contextes. Cette modularité de la culture hiérarchique facilite la fusion des rôles entre consommateurs et des producteurs, encouragé à améliorer les produits et services pour leur propre usage.

Un concept venu du logiciel libre

Ces deux logiques cathédrale versus bazar ont toujours existé. Historiquement, la culture populaire focalisait l'idée de hiérarchie à celle de l'exploitation de l'homme par l'homme. La cathédrale s'opposait à l'anarchisme. Mais l'arrivée du numérique a permis d'affiner cette approche, et de faire émerger cette idée de hiérarchie bazar. Les communautés d'informaticiens ont servi de laboratoire d'idées. Car le numérique offre notamment la possibilité de laisser une trace de toutes les contributions, et donc de faire des choix plus raisonnés, basé sur la qualité de chacun à contribuer à un projet. L'idée de hiérarchie bazar, popularisée avec le monde des logiciels libres et à code ouvert, a servi de catalyseur pour faciliter ces transitions. C'est d'ailleurs un bon exemple des propriétés du numériques évoquées dans l'article "Eau, air, terre, feu, numérique : sacrées propriétés". Car justement, ce sont les propriétés d'instantanéité, de décentralisation, de symétrie, d'asynchronicité et de multilatéralité qui facilitent l'émergence d'organisations bazar .

Dans son livre la cathédrale et le bazar (1998), Eric S. Raymond analyse le succès de projets de logiciels libres, dont le code source est ouvert, générant par nature une organisation de type bazar, avec plein de petits groupes de travail qui interagissent et pouvant voir ce que tous les autres font. Le succès des logiciels libres, bien que peu connu, est fulgurant en fait dans l'économie mondiale. La majorité des pages web qui sont affichées tournent sur des logiciels libres, conçu par des gens s'organisant dans des hiérarchies de type bazar. Ceci démontre la cohérence certaines théories surprenantes sur la pertinence de gouvernance de projet basée sur le partage de l'information et l'équité des chances qui sont le propre de bazar. Et ça marche bien au-delà du logiciel, dans l'architecture, les arts, les machines agricoles... mais uniquement si on utilise des outils numériques pour coordonner nos efforts.

En d'autres termes, le bazar n'entrave ni la réussite d'un projet ni la qualité de son résultat.

Succès notoire : GNU/Linux, système leader pour les serveurs web, et Wikipédia l'encyclopédie en ligne dans le top10 des sites les visités au monde. Il existe plusieurs millions de projets bazar, qui comme wikipedia utilisent Internet mais ne sont pas des projets logiciels. Leur succès provient de leur qualité : ils sont améliorables continuellement par tous. Seule condition : respecter les règles de fonctionnement de la communauté. Là réside sans doute une des clés de la force du bazar. Ces projets fonctionnent grâce à des micro-hiérarchies de contributions (ex. : «Il a sans doute raison, car c'est lui qui a résolu le dernier bug sur cette partie du programme la dernière fois. »), dans l'esprit, justement, d'un bazar.

Cette approche bazar remplace progressivement les hiérarchies de statut, symbolisées par des comportements comme :

  • « j'ai raison, car je suis ton chef » ;
  • « j'ai raison, car j'ai fait cinq années d'études et toi seulement deux ».

On voit ainsi que le pouvoir dans les organisations est intimement lié au statut, qui donne le droit ou non de contrôler l'information. Ce qui est nouveau, c'est justement que le numérique permet à ztzous de co-controler l'information c'est cela qui génère l'approche dite bazar. Dans l'approche bazar, comme les producteurs sont aussi les consommateurs, ils peuvent faire évoluer ensemble les produit et services plus rapidement, car ils ont accès à toutes les informations nécessaire pour bien décider ensemble.

Et comme le monde numérique ne connaît pas les distances, tous peuvent y contribuer où qu'ils se trouvent et à tout moment. De plus, par leur nombre important, les acteurs du bazar identifient plus vite les problèmes et trouvent la solution rapidement.

C'est pourquoi, au contraire d'autres concurrents non-libres, les bugs du logiciel GNU/Linux sont corrigés avec une réactivité incroyable (parfois en quelques heures). Un acte de vandalisme sur wikipédia est souvent corrigé par des patrouilleurs en moins de deux minutes...

L'organisation économique doit revoir sa copie

Le fonctionnement en cathédrale reste prédominant dans le modèle économique actuel de ce début du 21e siècle. Mais le bazar, modèle organisationnel émergent, est en train de bouleverser le rapport de force bien au-delà de la seule économie numérique.

Ces deux modes d'organisation se retrouvent notamment dans les médias. Les médias traditionnels exercent un quasi-monopole (du haut vers le bas) sur l'information et sont souvent intégrés dans des groupes transnationaux encore plus gros, qui produisent et vendent du matériel militaire, de l'électronique...

De la même manière, les géants de l'informatique (Microsoft, Apple, Google ou Facebook) maîtrisent totalement l'utilisation et le développement de leurs produits et se diversifient dans des domaines qui leur assurent de rester des groupes de dimension considérable et à hiérarchie verticale, des cathédrales, plutôt que de migrer vers des réseaux de petits groupes fonctionnant en bazar, horizontalement.

Ces entreprises cathédrales ne sont pas les mieux armées pour résister à l'invasion de la société numérique : la somme de multiples bazars, tous en réseau, représentant une concurrence sérieuse. On aborde alors le concept décrit dans l'article "la longue traîne" éponyme).

En revanche, l'économie sociale et solidaire bazar, c'est pourquoi son modèle semble plus pertinent et adapté à l'ère du numérique. Rappelons ici ses valeurs et principes :

  • solidarité
  • bien commun
  • coopération
  • multipartisme
  • autonomie
  • citoyenneté active
  • bénéfice mutuel
  • bien-être social
  • liberté fondamentale
  • innovation ouverte
  • vente de service plutôt que de produit
  • gouvernance décentralisée
  • partage de l'information
  • culture du don


Notes et références