Des cathédrales aux bazars : Différence entre versions

De Wiki livre Netizenship
(L'organisation économique doit revoir sa copie)
(copié-collé de la version 1.1. mai 2016 de l'ODT CDN)
 
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''cathédrale, bazar, culture libre, GNU/Linux''
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'''Notions-clés :''' ''[https://groups.diigo.com/group/e_culture/content/tag/cath%C3%A9drale cathédrale], [https://groups.diigo.com/group/e_culture/content/tag/bazar bazar], [https://groups.diigo.com/group/e_culture/content/tag/%22culture+libre%22 culture Libre], [https://groups.diigo.com/group/e_culture/content/tag/%22collaboration+en+ligne%22 collaboration en ligne], [https://groups.diigo.com/group/e_culture/content/tag/d%C3%A9centralisation décentralisation], [https://fr.wikipedia.org/wiki/%C3%89conomie_sociale économie sociale et solidaire].''
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'''Profils-clés :''' ''[https://groups.diigo.com/group/e_culture/content/tag/GNU_Linux GNU/Linux],
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[https://groups.diigo.com/group/e_culture/search?what=Eric+Raymond Eric S. Raymond], ''[https://groups.diigo.com/group/e_culture/content/tag/Wikip%C3%A9dia Wikipédia], [https://groups.diigo.com/group/e_culture/content/tag/Microsoft Microsoft], [https://groups.diigo.com/group/e_culture/content/tag/apple Apple], [https://groups.diigo.com/group/e_culture/content/tag/Google Google], [https://groups.diigo.com/group/e_culture/content/tag/facebook Facebook]'', ''[https://groups.diigo.com/group/e_culture/content/tag/%22%C3%A9conomie+sociale+et+solidaire%22 ESS]''.''
 
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==L'architecture des relations socio-économiques==
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On accorde souvent plus d'attention et de prestige à une belle cathédrale qu'à un bazar anarchique (du moins en apparence). Mais en ce qui concerne les modes d'organisation, d'entreprises ou de projets, ces a priori doivent-il désormais être remis en question ?
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Cathédrale, bazar, de quoi parle-t-on ? De structures sociales et économiques et non plus de bâtiments. La matière s'assemble selon des logiques dimensionnelles : hauteur, largeur... Les informations, les idées, les organisations sociales sont également le résultat de ces logiques. Certaines organisations sont assemblées suivant la forme de la « cathédrale ». D'autres organisations sont assemblées en suivant la forme du « bazar ».
  
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Le système social dit « en cathédrale » fonctionne selon la hiérarchie de statut, à la verticale, sous forme pyramidale. Le meilleur statut, le pouvoir suprême, se trouve au sommet. De nombreux niveaux intermédiaires le séparent de la base. Cette hiérarchie pyramidale exerce un contrôle important, notamment en s'interposant dans la circulation de l'information et les prises de décision. Tout doit passer d'un échelon hiérarchique à l'autre, du haut vers le bas ou inversement, rarement de manière transversale.
  
On accorde souvent plus d'attention et de prestige à une belle cathédrale qu'à un bazar (à l'apparence) anarchique. Pourtant, en ce qui concerne les modes d'organisation, d'entreprises ou de projets, ces ''a priori'' doivent désormais être remis en question. <br>
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La plupart des États-Nations fonctionnent de cette manière. La majorité des grandes entreprises aussi, où l'on doit en référer à un supérieur hiérarchique. Il est fréquent de recevoir un courrier important, une décision officielle par exemple, signée par une personne qui a le « droit de signature », le statut de « responsable administratif », alors qu'en fait le courrier a été préparé par d'autres personnes qui traitent ce dossier, des subalternes ; et le signataire appose sa griffe quasiment les yeux fermés.
  
Cathédrale, bazar&nbsp;? De quoi parle-t-on&nbsp;?
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Au-delà de la signature, c'est toute la culture de la gestion qui est influencée par cette approche cathédrale. Plus largement, dans l'organisation cathédrale, la consommation est séparée de la production. Les consommateurs ne peuvent pas comprendre ou modifier les produits qu'ils consomment.
  
La matière s'assemble selon des logiques dimensionnelles : hauteur, largeur...
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==La dynamique horizontale==
Les informations, les idées, les organisations sociales sont également le résultat de ces logiques.
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Bien différent est le fonctionnement des hiérarchies dans un bazar ! Il n'y a pas de position dominante a priori permanente. En fonction de la situation, chacun apporte sa contribution sous forme de connaissances, savoir-faire et savoir-être. Il la met au service de la communauté. Ceux dont les contributions sont les plus intéressantes réussissent à fédérer une communauté (fournisseurs et clients) et en deviennent naturellement les leaders légitimes.
  
Certaines organisations sont assemblées suivant la forme de la «cathédrale». D'autres organisations sont assemblées en suivant la forme du «bazar».
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L'organisation est horizontale, en de nombreux petits groupes. Dans chaque petit groupe, non seulement chacun peut être le chef d'un segment de l'activité, mais il peut aussi y avoir plusieurs chefs. La notion de chef se transforme en simple notion de (co-)responsable d'activité. Les responsables doivent sans cesse démontrer qu'ils méritent leur place, ou avoir la sagesse de réduire leur attente de pouvoir diriger, en (re-)devenant simple contributeur aux projets.
Le système social dit "en cathédrale" fonctionne selon la hiérarchique de statut, à la verticale ou sous forme pyramidale. Le meilleur statut, le pouvoir suprême, se trouve au sommet. De nombreux niveaux intermédiaires le séparent de la base. Cette hiérarchie pyramidale exerce un contrôle important sur la base, notamment en s'interposant dans la circulation de l'information et les prises de décision. Tout doit passer d'un échelon hiérarchique à l'autre, du haut vers le bas ou inversement, jamais de manière transversale. La plupart des États nations fonctionnent de cette manière. La plupart des entreprises aussi, où l'on doit toujours se référer à un supérieur hiérarchique. Il est fréquent de recevoir un courrier important, une décision officielle par exemple, signé par une personne qui a le "droit de signature", le statut de "responsable administratif"; alors qu'en fait le courrier a été préparé par d'autres personnes qui traitent ce dossier, des subalternes, et le signataire appose sa griffe quasiment les yeux fermés, voir même c'est la secrétaire un ou adjoint qui signe "pour ordre", ou alors on utilise un tampon avec la signature du chef. Au-delà de la signature, c'est toute la culture de la gestion qui est influencée par cette approche cathédrale.
 
Plus largement, dans l'organisation cathédrale, la consommation est séparée de la production. Les consommateurs ne doivent pas comprendre ou modifier les produits qu'ils consomment.
 
 
Bien différent est le fonctionnement des hiérarchies dans un bazar! Il n'y a pas de position dominante a priori. Chacun apporte sa proposition, son patrimoine, et partage. Ceux dont les contributions sont les plus intéressantes réussissent à réunir une communauté autour d'eux (fournisseurs et clients) et en deviennent naturellement leaders. L'organisation spatiale est donc bien plus horizontale, mais pas entièrement. Dans chaque petit groupe, non seulement chacun peut être le chef d'un petit morceau de l'activité, mais en plus, il peut y avoir plusieurs chefs. Donc la notion de chef se transforme en simple notion de (co-)responable d'activité, ponctuellement, et les responsables doivent sans cesse démontrer qu'ils méritent leur place, ou avoir la sagesse de réduire leur attente de pouvoir diriger, en (re-)devenant simple contributeur aux projets. Dans un bazar, influence d'un grand chef est moins grande, la pression moindre, les relations sont plus simples, basées sur l'expérience pratique, informelles, la réputation sans tache. Chacun peut donc participer à plusieurs groupes, parfois comme leader, parfois comme contributeur, et trouver diverses places en fonction des contextes. Cette modularité de la culture hiérarchique facilite la fusion des rôles entre consommateurs et des producteurs, encouragé à améliorer les produits et services pour leur propre usage.  
 
  
== Un concept venu du logiciel libre ==
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Dans un bazar la pression est moindre, les relations sont plus simples, informelles, basées sur la pratique. Chacun peut donc participer à plusieurs groupes, parfois comme leader, parfois comme contributeur, et trouver diverses places en fonction des contextes. Cette modularité de la culture hiérarchique facilite la fusion des rôles entre consommateurs et producteurs, ces derniers étant encouragés à améliorer les produits et services pour leur propre usage.
  
Ces deux logiques ''cathédrale versus bazar'' ont toujours existé. Historiquement, la culture populaire focalisait l'idée de hiérarchie à celle de l'exploitation de l'homme par l'homme. La cathédrale s'opposait à l'anarchisme. Mais l'arrivée du numérique a permis d'affiner cette approche, et de faire émerger cette idée de hiérarchie bazar. Les communautés d'informaticiens ont servi de laboratoire d'idées. Car le numérique offre notamment la possibilité de laisser une trace de toutes les contributions, et donc de faire des choix plus raisonnés, basé sur la qualité de chacun à contribuer à un projet. L'idée de hiérarchie bazar, popularisée avec le monde des logiciels libres et à code ouvert, a servi de catalyseur pour faciliter ces transitions. C'est d'ailleurs un bon exemple des propriétés du numériques évoquées dans l'article "Eau, air, terre, feu, numérique : sacrées propriétés". Car justement, ce sont les propriétés d'instantanéité, de décentralisation, de symétrie, d'asynchronicité et de multilatéralité qui facilitent l'émergence d'organisations bazar .
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==Un concept venu du logiciel libre==
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Ces deux logiques ''cathédrale versus bazar'' ont toujours existé. La cathédrale s'opposait à l'anarchisme. Mais l'arrivée du numérique a permis de faire émerger une approche plus nuancée du bazar, pas si anarchique finalement. Les communautés d'informaticiens ont servi de laboratoire d'idées. Car les propriétés de décentralisation et de multilatéralité des écosystèmes numériques ont entraîné l'émergence de ce nouveau type d'organisation.
  
Dans son livre ''la cathédrale et le bazar'' (1998), Eric S. Raymond analyse le succès de projets de logiciels libres, dont le code source est ouvert, générant par nature une organisation de type bazar, avec plein de petits groupes de travail qui interagissent et pouvant voir ce que tous les autres font. Le succès des logiciels libres, bien que peu connu, est fulgurant en fait dans l'économie mondiale. La majorité des pages web qui sont affichées tournent sur des logiciels libres, conçu par des gens s'organisant dans des hiérarchies de type bazar. Ceci démontre la cohérence certaines théories surprenantes sur la pertinence de gouvernance de projet basée sur le partage de l'information et l'équité des chances qui sont le propre de bazar. Et ça marche bien au-delà du logiciel, dans l'architecture, les arts, les machines agricoles... mais uniquement si on utilise des outils numériques pour coordonner nos efforts.
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En offrant la possibilité de laisser une trace de toutes les contributions, et donc de faire des choix plus raisonnés, basés sur la qualité de chacun à contribuer à un projet, le numérique donne de la transparence au mode opératoire. Ceci permet à chacun de voir le mode d'organisation et de choisir celui qui lui convient, sans tomber dans les options radicales du tout vertical ou tout horizontal.
  
En d'autres termes, le bazar n'entrave ni la réussite d'un projet ni la qualité de son résultat.  
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Dans son livre ''La cathédrale et le bazar''<ref>Eric S. Raymond. [http://www.linux-france.org/article/these/cathedrale-bazar/cathedrale-bazar_monoblock.html ''La cathédrale et le bazar''].</ref>, Eric S. Raymond analyse le succès de projets de logiciels libres, dont le code source est ouvert, générant par nature une organisation de type bazar, avec de nombreux petits groupes de travail qui interagissent, en visualisant ce que les autres apportent à la construction.
  
Succès notoire : GNU/Linux, système leader pour les serveurs web, et Wikipédia l'encyclopédie en ligne dans le top10 des sites les visités au monde. Il existe plusieurs millions de projets bazar, qui comme wikipedia utilisent Internet mais ne sont pas des projets logiciels. Leur succès provient de leur qualité&nbsp;: ils sont améliorables continuellement par tous. Seule condition&nbsp;: respecter les règles de fonctionnement de la communauté. Là réside sans doute une des clés de la force du bazar. Ces projets fonctionnent grâce à des micro-hiérarchies de ''contributions'' (ex.&nbsp;: «Il a sans doute raison, car c'est lui qui a résolu le dernier bug sur cette partie du programme la dernière fois.&nbsp;»), dans l'esprit, justement, d'un bazar.  
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Le succès des logiciels libres, bien que peu connu, est fulgurant dans l'économie mondiale. La majorité des pages web qui sont affichées tournent sur ce type de logiciels, conçus dans des hiérarchies de type bazar. Ceci démontre la pertinence de ce type de gouvernance de projet, basée sur le partage de l'information et l'équité des chances, deux fondamentaux propres au bazar.
  
Cette approche bazar remplace progressivement les hiérarchies de ''statut'', symbolisées par des comportements comme&nbsp;:
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Et cela s'applique bien au-delà du logiciel : dans l'architecture, les arts, les machines agricoles (etc.), mais uniquement si les outils numériques sont utilisés pour coordonner les efforts. L'idée de hiérarchie bazar, popularisée avec le monde des logiciels libres et à code ouvert, a servi de catalyseur pour faciliter une transition : le bazar, comme logique organisationnelle, s'étend aujourd'hui à de nombreux domaines.
  
* «&nbsp;j'ai raison, car je suis ton chef&nbsp;»&nbsp;;
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Le bazar n'entrave ni la réussite d'un projet, ni la qualité de son résultat.
* «&nbsp;j'ai raison, car j'ai fait cinq années d'études et toi seulement deux&nbsp;».  
 
  
On voit ainsi que le pouvoir dans les organisations est intimement lié au statut, qui donne le droit ou non de contrôler l'information. Ce qui est nouveau, c'est justement que le numérique permet à ztzous de co-controler l'information c'est cela qui génère l'approche dite ''bazar''. Dans l'approche bazar, comme les producteurs sont aussi les consommateurs, ils peuvent faire évoluer ensemble les produit et services plus rapidement, car ils ont accès à toutes les informations nécessaire pour bien décider ensemble.
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Deux succès notoires :
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*GNU/Linux. Issu du milieu hacker, le système d'exploitation libre Linux est né de la rencontre entre le développement collaboratif décentralisé d'internet et le mouvement du logiciel libre. Il est devenu leader sur les serveurs web.
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*Wikipédia l'encyclopédie en ligne. Elle figure parmi les 10 sites les plus visités au monde. Il existe plusieurs millions de projets bazar qui, comme Wikipédia, utilisent internet mais qui ne sont pas des projets logiciels. Leur succès provient de leur qualité : ils sont améliorables continuellement par tous. Seule condition : respecter les règles de fonctionnement de la communauté.
  
Et comme le monde numérique ne connaît pas les distances, tous peuvent y contribuer où qu'ils se trouvent et à tout moment. De plus, par leur nombre important, les acteurs du bazar identifient plus vite les problèmes et trouvent la solution rapidement.  
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Là réside sans doute l'une des clés de la force du bazar. Ces projets fonctionnent grâce à des micro-hiérarchies de contributions. Exemple : ''« Il a sans doute raison, car c'est lui qui a résolu le dernier bug sur cette partie du programme la dernière fois. »''
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Cette approche bazar remplace progressivement les hiérarchies de statut, symbolisées par des comportements comme :
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* ''« j'ai raison, car je suis ton chef »'' ;
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* ''« j'ai raison, car j'ai fait cinq années d'études et toi seulement deux »''.
  
C'est pourquoi, au contraire d'autres concurrents non-libres, les bugs du logiciel GNU/Linux sont corrigés avec une réactivité incroyable (parfois en quelques heures). Un acte de vandalisme sur wikipédia est souvent corrigé par des patrouilleurs en moins de deux minutes...
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On voit ainsi que le pouvoir dans les organisations est intimement lié au statut, qui donne le droit ou non à l'information. Ce qui est nouveau, c'est que le numérique permet à tous de co-contrôler l'information (le code, dans l'univers des programmeurs). Dans l'approche du bazar, comme les producteurs sont aussi les consommateurs, ils peuvent faire évoluer ensemble les produits et services plus rapidement, car ils ont accès à toutes les informations nécessaires pour bien décider ensemble. Et comme le monde numérique ne connaît pas les distances, tous peuvent y contribuer où qu'ils se trouvent et à tout moment.
  
== L'organisation économique en pleine mutation ==
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Par leur nombre important, les acteurs de la communauté socioéconomique des logiciels libres identifient plus vite les problèmes et trouvent la solution rapidement. C'est pourquoi, à la différence des projets fonctionnant sur le principe de la cathédrale, les communautés qui adoptent les principes du bazar peuvent être plus réactives, plus flexibles et ainsi plus efficaces pour trouver des solutions. Un acte de vandalisme sur Wikipedia est souvent repéré par des patrouilleurs en moins de deux minutes... Et ce malgré le nombre incalculable de page à surveiller. Un bel exemple d'autogestion.
  
Le fonctionnement en cathédrale reste prédominant dans le modèle économique actuel de ce début du 21e siècle. Mais le bazar, modèle organisationnel émergent, est en train de bouleverser le rapport de force bien au-delà de la seule économie numérique.  
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==Les organisations en pleine mutation==
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Le fonctionnement en cathédrale reste prédominant dans le modèle économique actuel en ce début du XXI<sup>e</sup> siècle. Mais la mutation est en cours. Le bazar, modèle organisationnel émergent, est en train de bouleverser le rapport de force bien au-delà de la seule économie numérique.
  
Ces deux modes d'organisation se retrouvent notamment dans les médias. Les médias traditionnels exercent un quasi-monopole (du haut vers le bas) sur l'information et sont souvent intégrés dans des groupes transnationaux encore plus gros, qui produisent et vendent du matériel militaire, de l'électronique...
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Ces deux modes d'organisation coexistent actuellement, notamment dans les médias. Les supports traditionnels exercent un quasi-monopole (du haut vers le bas) sur l'information et sont souvent intégrés dans des groupes transnationaux encore plus gros, qui produisent et vendent du matériel militaire, de l'électronique...  
De la même manière, les géants de l'informatique (Microsoft, Apple, Google ou Facebook) maîtrisent totalement l'utilisation et le développement de leurs produits et se diversifient dans des domaines qui leur assurent de rester des groupes de dimension considérable et à hiérarchie verticale, des cathédrales, plutôt que de migrer vers des réseaux de petits groupes fonctionnant en bazar, horizontalement.
 
  
Ces entreprises cathédrales ne sont pas les mieux armées pour résister à l'invasion de la société numérique : la somme de multiples bazars, tous en réseau, représentant une concurrence sérieuse. On aborde alors le concept décrit dans l'article "la longue traîne" éponyme).  
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De la même manière, les géants de l'informatique (en 2012 Microsoft, Apple, Google ou Facebook) maîtrisent totalement l'utilisation et le développement de leurs produits, tout en se diversifiant dans des domaines qui leur assurent de rester des groupes de dimension considérable et à hiérarchie verticale (des cathédrales), plutôt que de migrer vers des réseaux de petits groupes fonctionnant en bazar, horizontalement (comme le modèle Linux).
  
En revanche, l'économie sociale et solidaire et foncièrement adaptée à la culture bazar propre au numérique, c'est pourquoi son modèle semble plus pertinent et adapté à l'ère du numérique. Rappelons ici ses valeurs et principes :
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Ces entreprises cathédrales ne sont pas forcément les mieux armées pour résister à la société numérique : la somme des multiples bazars, tous en réseaux, représentant une concurrence sérieuse (on aborde alors le concept décrit dans l'article ''« La longue traîne »'').
  
* solidarité
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En revanche, l'''économie sociale et solidaire'' est structurellement adaptée à la culture bazar dévoilée par les pionniers du numérique, c'est pourquoi son modèle semble plus adaptable aux transitions économiques actuelles. Rappelons ici les valeurs et principes de l'ESS :
* bien commun
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# respect du bien commun
* coopération
+
# solidarité
* multipartisme
+
# coopération
* autonomie
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# diversité
* citoyenneté active
+
# autonomie
* bénéfice mutuel
+
# citoyenneté active
* bien-être social
+
# mutualisation
* liberté fondamentale
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# bien-être social
* innovation ouverte
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# innovation ouverte
* vente de service plutôt que de produit
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# gouvernance décentralisée
* gouvernance décentralisée
+
# partage de l'information
* partage de l'information
+
# culture du don
* culture du don
 
  
== Notes et références ==
+
==Notes et références ==
 
  <references/>
 
  <references/>

Version actuelle datée du 15 juillet 2016 à 16:24

Notions-clés : cathédrale, bazar, culture Libre, collaboration en ligne, décentralisation, économie sociale et solidaire.

Profils-clés : GNU/Linux, Eric S. Raymond, Wikipédia, Microsoft, Apple, Google, Facebook, ESS.


L'architecture des relations socio-économiques[modifier]

On accorde souvent plus d'attention et de prestige à une belle cathédrale qu'à un bazar anarchique (du moins en apparence). Mais en ce qui concerne les modes d'organisation, d'entreprises ou de projets, ces a priori doivent-il désormais être remis en question ?

Cathédrale, bazar, de quoi parle-t-on ? De structures sociales et économiques et non plus de bâtiments. La matière s'assemble selon des logiques dimensionnelles : hauteur, largeur... Les informations, les idées, les organisations sociales sont également le résultat de ces logiques. Certaines organisations sont assemblées suivant la forme de la « cathédrale ». D'autres organisations sont assemblées en suivant la forme du « bazar ».

Le système social dit « en cathédrale » fonctionne selon la hiérarchie de statut, à la verticale, sous forme pyramidale. Le meilleur statut, le pouvoir suprême, se trouve au sommet. De nombreux niveaux intermédiaires le séparent de la base. Cette hiérarchie pyramidale exerce un contrôle important, notamment en s'interposant dans la circulation de l'information et les prises de décision. Tout doit passer d'un échelon hiérarchique à l'autre, du haut vers le bas ou inversement, rarement de manière transversale.

La plupart des États-Nations fonctionnent de cette manière. La majorité des grandes entreprises aussi, où l'on doit en référer à un supérieur hiérarchique. Il est fréquent de recevoir un courrier important, une décision officielle par exemple, signée par une personne qui a le « droit de signature », le statut de « responsable administratif », alors qu'en fait le courrier a été préparé par d'autres personnes qui traitent ce dossier, des subalternes ; et le signataire appose sa griffe quasiment les yeux fermés.

Au-delà de la signature, c'est toute la culture de la gestion qui est influencée par cette approche cathédrale. Plus largement, dans l'organisation cathédrale, la consommation est séparée de la production. Les consommateurs ne peuvent pas comprendre ou modifier les produits qu'ils consomment.

La dynamique horizontale[modifier]

Bien différent est le fonctionnement des hiérarchies dans un bazar ! Il n'y a pas de position dominante a priori permanente. En fonction de la situation, chacun apporte sa contribution sous forme de connaissances, savoir-faire et savoir-être. Il la met au service de la communauté. Ceux dont les contributions sont les plus intéressantes réussissent à fédérer une communauté (fournisseurs et clients) et en deviennent naturellement les leaders légitimes.

L'organisation est horizontale, en de nombreux petits groupes. Dans chaque petit groupe, non seulement chacun peut être le chef d'un segment de l'activité, mais il peut aussi y avoir plusieurs chefs. La notion de chef se transforme en simple notion de (co-)responsable d'activité. Les responsables doivent sans cesse démontrer qu'ils méritent leur place, ou avoir la sagesse de réduire leur attente de pouvoir diriger, en (re-)devenant simple contributeur aux projets.

Dans un bazar la pression est moindre, les relations sont plus simples, informelles, basées sur la pratique. Chacun peut donc participer à plusieurs groupes, parfois comme leader, parfois comme contributeur, et trouver diverses places en fonction des contextes. Cette modularité de la culture hiérarchique facilite la fusion des rôles entre consommateurs et producteurs, ces derniers étant encouragés à améliorer les produits et services pour leur propre usage.

Un concept venu du logiciel libre[modifier]

Ces deux logiques cathédrale versus bazar ont toujours existé. La cathédrale s'opposait à l'anarchisme. Mais l'arrivée du numérique a permis de faire émerger une approche plus nuancée du bazar, pas si anarchique finalement. Les communautés d'informaticiens ont servi de laboratoire d'idées. Car les propriétés de décentralisation et de multilatéralité des écosystèmes numériques ont entraîné l'émergence de ce nouveau type d'organisation.

En offrant la possibilité de laisser une trace de toutes les contributions, et donc de faire des choix plus raisonnés, basés sur la qualité de chacun à contribuer à un projet, le numérique donne de la transparence au mode opératoire. Ceci permet à chacun de voir le mode d'organisation et de choisir celui qui lui convient, sans tomber dans les options radicales du tout vertical ou tout horizontal.

Dans son livre La cathédrale et le bazar[1], Eric S. Raymond analyse le succès de projets de logiciels libres, dont le code source est ouvert, générant par nature une organisation de type bazar, avec de nombreux petits groupes de travail qui interagissent, en visualisant ce que les autres apportent à la construction.

Le succès des logiciels libres, bien que peu connu, est fulgurant dans l'économie mondiale. La majorité des pages web qui sont affichées tournent sur ce type de logiciels, conçus dans des hiérarchies de type bazar. Ceci démontre la pertinence de ce type de gouvernance de projet, basée sur le partage de l'information et l'équité des chances, deux fondamentaux propres au bazar.

Et cela s'applique bien au-delà du logiciel : dans l'architecture, les arts, les machines agricoles (etc.), mais uniquement si les outils numériques sont utilisés pour coordonner les efforts. L'idée de hiérarchie bazar, popularisée avec le monde des logiciels libres et à code ouvert, a servi de catalyseur pour faciliter une transition : le bazar, comme logique organisationnelle, s'étend aujourd'hui à de nombreux domaines.

Le bazar n'entrave ni la réussite d'un projet, ni la qualité de son résultat.

Deux succès notoires :

  • GNU/Linux. Issu du milieu hacker, le système d'exploitation libre Linux est né de la rencontre entre le développement collaboratif décentralisé d'internet et le mouvement du logiciel libre. Il est devenu leader sur les serveurs web.
  • Wikipédia l'encyclopédie en ligne. Elle figure parmi les 10 sites les plus visités au monde. Il existe plusieurs millions de projets bazar qui, comme Wikipédia, utilisent internet mais qui ne sont pas des projets logiciels. Leur succès provient de leur qualité : ils sont améliorables continuellement par tous. Seule condition : respecter les règles de fonctionnement de la communauté.

Là réside sans doute l'une des clés de la force du bazar. Ces projets fonctionnent grâce à des micro-hiérarchies de contributions. Exemple : « Il a sans doute raison, car c'est lui qui a résolu le dernier bug sur cette partie du programme la dernière fois. » Cette approche bazar remplace progressivement les hiérarchies de statut, symbolisées par des comportements comme :

  • « j'ai raison, car je suis ton chef » ;
  • « j'ai raison, car j'ai fait cinq années d'études et toi seulement deux ».

On voit ainsi que le pouvoir dans les organisations est intimement lié au statut, qui donne le droit ou non à l'information. Ce qui est nouveau, c'est que le numérique permet à tous de co-contrôler l'information (le code, dans l'univers des programmeurs). Dans l'approche du bazar, comme les producteurs sont aussi les consommateurs, ils peuvent faire évoluer ensemble les produits et services plus rapidement, car ils ont accès à toutes les informations nécessaires pour bien décider ensemble. Et comme le monde numérique ne connaît pas les distances, tous peuvent y contribuer où qu'ils se trouvent et à tout moment.

Par leur nombre important, les acteurs de la communauté socioéconomique des logiciels libres identifient plus vite les problèmes et trouvent la solution rapidement. C'est pourquoi, à la différence des projets fonctionnant sur le principe de la cathédrale, les communautés qui adoptent les principes du bazar peuvent être plus réactives, plus flexibles et ainsi plus efficaces pour trouver des solutions. Un acte de vandalisme sur Wikipedia est souvent repéré par des patrouilleurs en moins de deux minutes... Et ce malgré le nombre incalculable de page à surveiller. Un bel exemple d'autogestion.

Les organisations en pleine mutation[modifier]

Le fonctionnement en cathédrale reste prédominant dans le modèle économique actuel en ce début du XXIe siècle. Mais la mutation est en cours. Le bazar, modèle organisationnel émergent, est en train de bouleverser le rapport de force bien au-delà de la seule économie numérique.

Ces deux modes d'organisation coexistent actuellement, notamment dans les médias. Les supports traditionnels exercent un quasi-monopole (du haut vers le bas) sur l'information et sont souvent intégrés dans des groupes transnationaux encore plus gros, qui produisent et vendent du matériel militaire, de l'électronique...

De la même manière, les géants de l'informatique (en 2012 Microsoft, Apple, Google ou Facebook) maîtrisent totalement l'utilisation et le développement de leurs produits, tout en se diversifiant dans des domaines qui leur assurent de rester des groupes de dimension considérable et à hiérarchie verticale (des cathédrales), plutôt que de migrer vers des réseaux de petits groupes fonctionnant en bazar, horizontalement (comme le modèle Linux).

Ces entreprises cathédrales ne sont pas forcément les mieux armées pour résister à la société numérique : la somme des multiples bazars, tous en réseaux, représentant une concurrence sérieuse (on aborde alors le concept décrit dans l'article « La longue traîne »).

En revanche, l'économie sociale et solidaire est structurellement adaptée à la culture bazar dévoilée par les pionniers du numérique, c'est pourquoi son modèle semble plus adaptable aux transitions économiques actuelles. Rappelons ici les valeurs et principes de l'ESS :

  1. respect du bien commun
  2. solidarité
  3. coopération
  4. diversité
  5. autonomie
  6. citoyenneté active
  7. mutualisation
  8. bien-être social
  9. innovation ouverte
  10. gouvernance décentralisée
  11. partage de l'information
  12. culture du don

Notes et références[modifier]

  1. Eric S. Raymond. La cathédrale et le bazar.