Les lanceurs d'alerte

De Wiki livre Netizenship

accès libre, information, culture du secret, transparence, Open data.

Profils-clés : Bradley Manings, WikiLeaks, Julian Assange, Rupert Murdoch, Keith Murdoch.


Le lanceur d'alerte : figure morale ou espion ?

Un jour, au bureau, il/elle tombe sur des documents qui révèlent un conflit d’intérêts, un mensonge d’État, une arnaque financière… Et tout bascule : sa propre vie et le cours de l’Histoire. Ainsi commence l’aventure d’un whistleblower (lanceur d'alerte).

Un Wistleblower, sonneur d'alarme ou encore carillonneur, est une personne qui découvre des informations troublantes, voire scandaleuses, et qui décide courageusement de les dévoiler au reste du monde. La question qui se pose aujourd'hui, à l'heure où nous avons tous accès à de plus en plus d'informations : jusqu’à quel point devons-nous rester respectueux des institutions et modéré dans notre position et dans notre opinion ? À partir de quand devons-nous nous indigner ? 
Bradley Manings, connu pour être la première et principale source des fuites publiées dans WikiLeaks en 2010 a-t-il eu raison de transmettre des milliers de documents confidentiels au site internet war-logs ?

Le gouvernement américain considère la révélation d’informations militaires classées secret-défense comme une mise en danger de la vie des soldats américains engagés en Afghanistan. Les donneurs d’alerte, quant à eux, rétorquent que le musellement des voix discordantes met à mal l’État de droit en démotivant tous ceux qui veulent révéler les abus des grandes organisations publiques ou privées.

Fournir des sources fiables indépendantes qui révèlent au grand jour des secrets est devenu plus facile à l'heure du numérique. Une bonne info s'y répand comme une traînée de poudre. Cela rend encore plus aigu la question des lanceurs d'alerte. Leur pouvoir de nuisance sur le système (habitué à la culture du secret) s'est accru.

Si la culture très anglo-saxonne de lanceurs d’alerte est une vieille tradition, le web lui a donné sa pleine mesure. WikiLeaks est un projet, une organisation mais son degré d'ouverture et la cohérence de son propos sont tels qu'elle est devenue une institution. Décriée certes, mais assurément reconnue comme leader dans son domaine. Elle est sans concurrence réelle car tout un chacun peut l'utiliser, y contribuer gratuitement et librement tant que ses standards de qualité sont respectés (fiabilité des sources et relevant de l'intérêt public). WikiLeaks est porteur d'un message symbolique qui grâce au web a pu être divulgué mondialement : la liberté d’expression ne doit pas être aliénée. Elle est le principe fondateur, le garde-fou qui permet à nos démocraties de perdurer.

« N'abattez pas le messager »

« N’abattez pas le messager pour avoir révélé des vérités qui dérangent » : dans une tribune au journal The Australian publiée dans la foulée de son arrestation, Julian Assange, le fondateur de WikiLeaks, affirme que son site internet publiait « sans peur » des faits dans l’intérêt public[1].

« En 1958, Rupert Murdoch, alors jeune propriétaire et directeur du News d'Adélaïde, écrivait : « Dans le bras de fer entre le secret et la vérité, il semble inévitable que la vérité l'emporte toujours ». Il fallait peut-être y voir l'écho du travail de son père, Keith Murdoch, qui, en son temps, avait révélé que les soldats australiens étaient inutilement sacrifiés par les généraux britanniques sur les plages de Gallipoli. Les Britanniques tentèrent de le réduire au silence, mais Keith Murdoch refusa de se taire, et grâce à ses efforts un terme fut mis à la désastreuse campagne des Dardanelles.

Près de un siècle plus tard, c'est avec le même courage que WikiLeaks diffuse des faits qui doivent être rendus publics. J'ai grandi dans une communauté rurale du Queensland où les gens avaient coutume de dire sans détour ce qu'ils avaient sur le cœur. Ils se méfiaient d'un État interventionniste susceptible d'être corrompu si on le laissait à lui-même. Je ne l'ai jamais oublié. C'est en se fondant sur ces valeurs essentielles que WikiLeaks a été créé. Les sociétés démocratiques ont besoin de médias forts et WikiLeaks fait partie de ces médias. Ils contribuent à garantir l'honnêteté du pouvoir.

WikiLeaks a dévoilé certaines vérités pénibles à propos des guerres en Irak et en Afghanistan, et publié des révélations sur la corruption des grandes entreprises. Si vous avez lu les carnets de guerre d'Afghanistan ou d'Irak, des dépêches d'ambassades américaines ou n'importe quel autre secret mis au jour par WikiLeaks, réfléchissez sur l'importance pour tous les médias d'être en mesure de rapporter librement ces informations. WikiLeaks n'est pas le seul à publier les télégrammes diplomatiques américains. D'autres médias, notamment The Guardian au Royaume-Uni, The New York Times aux États-Unis, El Pais en Espagne et Der Spiegel en Allemagne ont publié les mêmes câbles édités. Le Premier ministre australien, Julia Gillard, et la secrétaire d’État Hillary Clinton n'ont pas émis la moindre critique à leur encontre.

En effet, The Guardian, The New York Times et Der Spiegel sont de grands et vieux journaux, tandis que WikiLeaks est encore jeune et petit. Nous sommes des laissés-pour-compte. Le gouvernement Gillard essaie de tuer le messager, car il ne veut pas que la vérité soit révélée, y compris l'information concernant ses propres manœuvres diplomatiques et politiques. Dans son jugement qui a fait jurisprudence dans l'affaire dite des « papiers du Pentagone » (en 1971, The New York Times a publié de larges extraits d'un rapport secret-défense sur l'implication politique et militaire des États-Unis dans la guerre du Vietnam), la Cour suprême américaine avait déclaré : « Seule une presse complètement libre peut révéler efficacement les manipulations du gouvernement. La tempête qui s'abat aujourd'hui sur WikiLeaks ne fait que renforcer cette nécessité de défendre le droit de tous les médias à révéler la vérité ».

Vite, la fuite ![2]

Wikileaks est composé de wiki et de leaks. Wiki est un mot hawaïen qui signifie rapide et informel. Leaks signifie fuite dans le sens où l’information est volontairement contenue, bridée et ne peut être exprimée librement sous couvert de secret d’État ou d’entreprise. Voici une illustration des révélations de Bradley Manning, via WikiLeaks, tirée du journal Le Monde : « Une directive secrète signée en juillet 2009 par la secrétaire d’État Hillary Clinton réclame ainsi des détails techniques sur les réseaux de communication utilisés par des responsables des Nations unies : mots de passe et codes secrets. Mais les requêtes de Washington ne s'arrêtent pas là. Les diplomates américains sont également susceptibles de fournir numéros de carte bancaire, adresses électroniques, numéros de téléphone et même des numéros de carte de fidélité auprès de compagnies aériennes des fonctionnaires de l'ONU. Le Guardian précise que la directive demande encore des renseignements au sujet « du style de travail et de prise de décision » du secrétaire général de l'ONU, Ban Ki-moon ».

Ce que révèle WikiLeaks

En 2010, WikiLeaks été au cœur de l'actualité. Bradley Manning, soldat et informaticien des USA en Afghanistan, a passé à ce site plus de deux cents cinquante mille messages ultra confidentiels appelés câbles diplomatiques. Il est en prison militaire depuis, car, en tant que soldat, il était tenu au secret. Mais le site de l'association WikiLeaks n'a pas pu être condamné, car la liberté d'expression protège les médias et WikiLeaks, bien que n'appartenant à aucun grand groupe de presse mondial, est un média. À la base, c'était une personne seule, Julian Assange. Aujourd'hui encore, c'est un petit groupe de bénévoles. Ils trient les alertes reçues, vérifient les sources et la fiabilité, puis diffusent à d'autres médias, qui relayent à d'autres médias encore... À nouveau, on voit que distinction entre émetteurs et récepteurs des médias s'estompe avec internet, nous donnant à chacun la possibilité de jouer un rôle de citoyen du Net.

« Il faut sauver la liberté d'expression »[3]

« Une presse authentiquement libre, libre de toute considération nationaliste, constitue manifestement un problème terrifiant aussi bien pour les gouvernements élus que pour les tyrannies. Cela ne devrait pourtant pas être le cas. Depuis le début du mois de décembre et la publication des premiers câbles secrets de la diplomatie américaine, WikiLeaks a été la cible d'attaques par déni de service lancées contre ses serveurs par des pirates non identifiés. Amazon, vers lequel le site s'était tourné, a refusé de continuer à l'héberger et Paypal a suspendu le compte sur lequel le site recevait ses dons, mettant en péril sa capacité à lever des fonds.

En même temps, des personnalités politiques américaines se livrent à une véritable escalade rhétorique contre cette société à but non lucratif, appelant successivement à l'engagement de poursuites et à l'arrestation, voire à l'assassinat de Julian Assange, son porte-parole le plus médiatisé. Puisqu'il n'est pas certain que la législation actuelle permette de le poursuivre, certains parlementaires ont proposé un amendement à la loi sur l'espionnage afin de pouvoir le mettre au pas. WikiLeaks n'est pas parfait et nous n'avons jamais hésité à pointer du doigt ses lacunes. Cependant, le temps est venu d'intervenir dans les débats et de prendre clairement position sur la valeur de ce site : WikiLeaks a pour but d'améliorer notre système démocratique, pas de l'affaiblir. La pire menace à laquelle nous sommes désormais confrontés par le développement de cette affaire ne tient pas à l'information que WikiLeaks a divulguée ou pourrait divulguer à l'avenir, mais aux réflexes réactionnaires qui montent contre lui aux États-Unis et qui, si l'on n'y prend garde, ne tarderont pas à menacer l’État de droit et notre attachement historique à la liberté d'expression. Le secret est régulièrement présenté comme une composante essentielle du bon gouvernement et ce principe est si communément admis que des journalistes, dont le métier est pourtant de révéler le fonctionnement caché des États, estiment que le travail de WikiLeaks va trop loin (...).

Au lieu d'encourager les hébergeurs internet à mettre des sites sur liste noire et de pondre de nouvelles lois anti-espionnage qui incriminent plus gravement la publication de secrets diplomatiques, nous devrions considérer que WikiLeaks bénéficie de la protection du premier amendement (interdisant au Congrès d'adopter des lois limitant la liberté d'expression) au même titre que The New York Times. En tant que société, nous devrions soutenir le site parce qu'il est l'expression d'une liberté fondamentale figurant au cœur de notre Déclaration des droits, au lieu de réagir comme les Chinois qui s'empressent de censurer l'information sur demande de leur gouvernement dans le souci de se faire bien voir.

WikiLeaks n'est pas forcément synonyme de transparence radicale. Si des sites comme celui-ci fonctionnent, c'est grâce à des sources qui, travaillées par leur mauvaise conscience, viennent leur proposer de l'information au nom de l'intérêt public. WikiLeaks n'est qu'un distributeur d'informations. Il contribue à garantir que ces renseignements ne seront pas dissimulés par des journalistes redoutant des procès ou des représailles de la part des autorités.

WikiLeaks réussit à contrer les attaques avec l'aide de centaines de sites-miroirs qui préserveront l'accès à son contenu quels que soient les efforts de ses adversaires. Bloquer WikiLeaks, si tant est que cela soit possible, est irrémédiablement vain. La meilleure et la seule défense d'un État contre des révélations dévastatrices consiste à agir avec justice et équité. En cherchant à faire taire WikiLeaks, ses détracteurs sur la scène politique américaine ne font qu'amorcer la pompe qui ramènera à la surface toujours plus d'informations embarrassantes ».

Notes et références

  1. Extraits de la tribune de Julian Assange, The Australian, 8 décembre 2010.
  2. Site du réseau de soutien à Bradley Manning: www.bradleymanning.org
  3. Evan Hansen, « Il faut sauver la liberté d'expression », Wired, 16 décembre 2010.