Les lanceurs d'alerte

De Wiki livre Netizenship

Il faut sauver la liberté d'expression

Article paru dans le Courrier international, n°1050, du 16 au 21 décembre 2010

S'en prendre à Wikileaks revient purement et simplement à remettre en cause le fonctionnement de la démocratie, estime le magazine de la culture Internet.

Une presse authentiquement libre, libre de toute considération nationaliste, constitue manifestement un problème terrifiant aussi bien pour les gouvernements élus que pour les tyrannies. Cela ne devrait pourtant pas être le cas. Depuis le début du mois de décembre et la publication des premiers câbles secrets de la diplomatie américaine, WikiLeaks a été la cible d'attaques par déni de service lancées contre ses serveurs par des pirates non identifiés ; Amazon, vers lequel le site s'était tourné, a refusé de continuer à l'héberger et Paypal a suspendu le compte sur lequel le site recevait ses dons, mettant en péril sa capacité à lever des fonds.

Des le même temps, des personnalités politique américaines se livrent à une véritable escalade rhétorique contre cette société à but non lucratif, appelant successivement à l'engagement de poursuites et à l'arrestation, voire à l'assassinat de Julian Assange, son porte-parole le plus médiatisé. Puisqu'il n'est pas certain que la législation actuelle permette de le poursuivre, certains parlementaires ont proposé un amendement à la loi sur l'espionnage afin de pouvoir le mettre au pas. Wikileaks n'est pas parfait, et nous n'avons jamais hésité à pointer du doigt ses lacunes. Cependant, le temps est venu d'intervenir dans les débats et de prendre clairement position sur la valeur de ce site : WikiLeaks a pour but d'améliorer notre système démocratique, pas de l'affaiblir. La pire menace à laquelle nous sommes désormais confrontés par le développement de cette affaire ne tient pas à l'information que Wikileaks a divulgée ou pourrait divulguer à l'avenir, mais aux réflexes réactionnaires qui montent contre lui aux Etats-Unis et qui, si l'on n'y prend garde, ne tarderont pas à menacer l'Etat de droit et notre attachement historique à la liberté d'expression. Le secret est régulièrement présenté comme une composante essentielle du bon gouvernement, et ce principe est si communément admis que des journalistes, dont le métier est pourtant de révéler le fonctionnement caché des Etats, estiment que le travail de WikiLeaks va trop loin.

Libre de toute pression

La transparence et son importance ne sont pas considérées de la même façon dans les couloirs du pouvoir et en-dehors. Pendant sa campagne, Barack Obama s'était engagé à revenir sur le culte du secret, que son prédécesseur avait considérablement étendu,mais son gouvernement a pour l'essentiel oublié ces promesses et redoublé de cachotteries.

L'un des principaux reproches faits à Wikileaks est l'absence de contrôle sur son action. Cette société est installée dans différents pays où la liberté d'expression est amplement protégée.

Elle ne dépend d'aucun Etat en particulier et ses intérêts ne s'alignent jamais complètement sur ceux des autorités. On peut comparer cette situation à ce qui s'est produit en 2004, lorsque le gouvernement américain fit pression sur The New York Times pour qu'il renonce à publier un article sur les écoutes effectuées sans autorisation de la justice au motif qu'il menaçait la sécurité nationale. Le journal avait dû repousser cette publication pendant un an et demi. WikiLeaks ne joue pas le même rôle que la presse et ne s'efforce pas toujours de vérifier soigneusement l'information avant de la publier. Il n'en reste pas moins que le site, fournissant des documents originaux exclusifs à des publications en préservant celles-ci des pressions exercées par les gouvernements pour étouffer l'information, fait partie de ce que l'on pourrait appeler l'écosystème médiatique.

Distributeur d'informations

Au lieu d'encourager les hébergeurs Internet à mettre des sites sur liste noire et de pondre de nouvelles lois anti-espionnage qui incriminent plus gravement la publication de secrets diplomatiques, nous devrions considérer que WikiLeaks bénéficie de la protection du premier amendement [interdisant au Congrès d'adopter des lois limitant la liberté d'expression] au même titre que The New York Times. En tant que société, nous devrions soutenir le site parce qu'il est l'expression d'une liberté fondamentale figurant au cœur de notre Déclaration des droits, au lieu de réagir comme les Chinois qui s'empressent de censurer l'information sur demande de leur gouvernement dans le souci de se faire bien voir.

WikiLeaks n'est pas forcément synonyme de transparence radicale. Si des sites comme celui-ci fonctionnent, c'est grâce à des sources qui, travaillées par leur mauvaise conscience, viennent leur proposer de l'information au nom de l'intérêt public. WikiLeaks n'est qu'un distributeur d'informations. Il contribue à garantir que ces renseignements ne seront pas dissimulés par des journalistes redoutant des procès ou des représailles de la part des autorités.

WikiLeaks réussit à contrer les attaques avec l'aide de centaines de sites-miroirs qui préserveront l'accès à son contenu quels que soient les efforts de ses adversaires. Bloquer Wikileaks, si tant est que cela soit possible, est irrémédiablement vain. La meilleure et la seule défense d'un Etat contre des révélations dévastatrices consiste à agir avec justice et équité. En cherchant à faire taire WikiLeaks, ses détracteurs sur la scène politique américaine ne font qu'amorcer la pompe qui ramènera à la surface toujours plus d'informations embarrassantes.

Evan Hansen


N'abattez pas le messager

''Article paru dans le Courrier international, n°1050, du 16 au 21 décembre 2010

En 1958, Rupert Murdoch, alors jeune propriétaire et directeur du News d'Adélaïde, écrivait : "Dans le bras de fer entre le secret et la vérité, il semble inévitable que la vérité l'emporte toujours." Il fallait peut-être y voir l'écho du travail de son père, Keith Murdoch, qui, en son temps, avait révélé que les soldats australiens étaient inutilement sacrifiés par les généraux britanniques sur les plages de Gallipoli. Les Britanniques tentèrent de le réduire au silence, mais Keith Murdoch refusa de se taire, et grâce à ses efforts un terme fut mis à la désastreuse campagne des Dardanelles. Près de un siècle plus tard, c'est avec le même courage que WikiLeaks diffuse des faits qui doivent être rendus publics. J'ai grandi dans une communauté rurale du Queensland où les gens avaient coutume de dire sans détour ce qu'ils avaient sur le cœur. Ils se méfiaient d'un Etat interventionniste susceptible d'être corrompu si on le laissait à lui-même. Je ne l'ai jamais oublié. C'est en se fondant sur ces valeurs essentielles que WikiLeaks a été créé. Les sociétés démocratiques ont besoin de médias forts et WikiLeaks fait partie de ces médias. Ils contribuent à garantir l'honnêteté du pouvoir. WikiLeaks a dévoilé certaines vérités pénibles à propos des guerres en Irak et en Afghanistan, et publié des révélations sur la corruption des grandes entreprises. Si vous avez lu les carnets de guerre d'Afghanistan ou d'Irak, des dépêches d'ambassades américaines ou n'importe quel autre secret mis au jour par WikiLeaks, réfléchissez sur l'importance pour tous les médias d'être en mesure de rapporter librement ces informations. WikiLeaks n'est pas le seul à publier les télégrammes diplomatiques américains. D'autres médias, notamment The Guardian au Royaume-Uni, The New York Times aux Etats-Unis, ElPais en Espagne et Der Spiegel en Allemagne ont publié les mêmes câbles édités. Le Premier ministre australien, Julia Gillard, et la secrétaire d'Etat Hillary Clinton n'ont pas émis la moindre critique à leur encontre. En effet, The Guardian, The New York Times et Der Spiegel sont de grands et vieux journaux, tandis que WikiLeaks est encore jeune et petit. Nous sommes des laissés-pour-compte. Le gouvernement Gillard essaie de tuer le messager, car il ne veut pas que la vérité soit révélée, y compris l'information concernant ses propres manœuvres diplomatiques et politiques. Dans son jugement qui a fait jurisprudence dans l'affaire dite des "papiers du Pentagone" [en 1971, The New York Times a publié de larges extraits d'un rapport secret-défense sur l'implication politique et militaire des Etats-Unis dans la guerre du Vietnam], la Cour suprême américaine avait déclaré : "Seule une presse complètement libre peut révéler efficacement les manipulations du gouvernement." La tempête qui s'abat aujourd'hui sur WikiLeaks ne fait que renforcer cette nécessité de défendre le droit de tous les médias à révéler la vérité.

Julian Assange, The Australian (extraits) Sydney