Les propriétés fondamentales du numérique

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Notions-clés : proprieté du numérique, nonsphère, propriétés sociotechniques, neutralité du net, instantanéité, décentralisation, symétrie, asynchronicité, multilatéralité, rhizome, convivialité, biens communs. Économie sociale et solidaire (ESS)

Profils-clés : Toffler, Stallman, Gilles Deleuze, Habermas, Bateson, Homo Numericus, Bateson Gragory, Lec Manovich, Arpanet,Murray, Charles Darwin.


Terre, air, eau, feu : éléments fondamentaux de la nature, avec leurs propriétés pas seulement physiques mais aussi sociales. Nous les conjuguons au quotidien, avec toutes sortes de recettes qui sont autant de programmes comportementaux : se laver, planter un arbre, se cuire un œuf. La découverte du feu par nos pères a tout changé dans l'histoire de l'humanité. Comment pourrions-nous vivre sans feu ?

C'est un peu la même question aujourd'hui à propos des outils numériques : comment faisions-nous avant ? Téléphones, ordinateurs, satellites... Tant d'outils désormais essentiels pour gérer l'économie, les transports, les relations professionnelles, la formation ! Finalement, le numérique c'est bien plus qu'une succession de uns et de zéros, non ? Cela ressemble davantage à un cinquième élément.

L'éther défini par Aristote comme la matière invisible du vide dans lequel nous baignons sans le voir, nous en retrouvons la trace dans cet espace exponentiel d'informations que certains nomment la noosphère, sphère des idées, qui complète la biosphère.

Internet est donc bien plus qu'un média, c'est un écosystème hyper-complexe à l'image de la société humaine, avec ses mécanismes, ses codes, ses zones d'influence, ses réactions en chaîne... L'omniprésence de cet environnement dans notre vie est si importante qu'internet est devenu le terreau fertile d'une transition majeure de l'Homo Sapiens vers l'Homo Numericus.

À première vue, cette transition paraît anarchique, incontrôlée, imprévisible et totalement diffuse. Mais, derrière cet apparent désordre, ce chaos en mouvement, ce big bang technologique, il se pourrait qu'un nouvel élément fondamental soit à l’œuvre, avec des propriétés bien spécifiques. Et ses applications sont à peine connues !

Les cinq propriétés socio-techniques du numérique

Quel que soit l'outil de communication numérique, nous avons identifié cinq propriétés fondamentales qui régissent le fonctionnement des flux d'informations, sous leur forme numérique. Il s'agit d'une hypothèse, d'une proposition qui décrit ces cinq propriétés comme un dénominateur commun pour s'y retrouver. Un phare, un point de repère qui reste invariablement disponible, quel que soit le contexte ou le sujet lié aux environnements numériques. Propriétés car, comme les quatre éléments (air, feu, eau, terre), le numérique possède des qualités fondamentales. Socio-techniques, car plus ces technologies sont adoptées, plus elles influencent nos modes d'organisation socio-économiques.

Cet apport conceptuel est le fruit d'une dizaine d'années de recherches collaboratives entre Théo Bondolfi et Raphäel Rousseau (tous deux impliqués dans la rédaction du présent ouvrage). Ils se sont inspirés des publications de nombreux chercheurs, analysant l'évolution du concept de bien commun dans la société de l'information.

Parmi les sources essentielles, on peut citer les travaux d'Heidi et Alvin Toffler, ceux de Richard Stallman et de Jürgen Habermas, ainsi que de Erreur de référence : Balise fermante </ref> manquante pour la balise <ref>.

La notion de convivialité

Le concept d'outil convivial est introduit par le pédagogue Ivan Illich dans La convivialité (Tools for conviviality, 1973) « pour formuler une théorie sur une société future à la fois très moderne et non dominée par l'industrie ».

Il nomme conviviale « une telle société dans laquelle les technologies modernes servent des individus politiquement interdépendants, et non des gestionnaires ». Les outils conviviaux sont alors les outils maniés (et non manipulés) par ces individus dans cette société.Le terme d'outil est utilisé ici dans un sens très large, c'est-à-dire tout instrument, objet ou institution mis au service d'une intentionnalité ou comme moyen d'une fin (tournevis, téléviseur, usine de cassoulet, autoroutes, langage, institution scolaire, permis de construire, lois, etc.). Toute action humaine et relation sociale se fait donc par le biais d'outils. Illich montre toutefois que les outils ne sont pas neutres et modèlent les rapports sociaux entre les hommes ainsi que le rapport de l'homme au monde.

Illich distingue ainsi les outils selon leur degré de convivialité. L'outil convivial est maîtrisé par l'homme et lui permet de façonner le monde au gré de son intention, de son imagination et de sa créativité. C'est un outil qui rend autonome et qui rend « capable de se charger de sens en chargeant le monde de signes ». C'est donc un outil avec lequel travailler et non un outil qui travaille à la place de l'homme. À l'inverse l'outil non-convivial le domine et le façonne.

Un outil convivial doit donc selon lui répondre à trois exigences :

  • il doit être générateur d'efficience sans dégrader l'autonomie personnelle ;
  • il ne doit susciter ni esclave ni maître ;
  • il doit élargir le rayon d'action personnel.[1]

Parce qu'il permet aux individus d'interagir à leur propre rythme et d'être créateurs de leur propre autonomie, le numérique favorise les dynamiques socio-économiques conviviales, à condition, si on suit la pensée d'Illich, de rendre accessible à tous son mode d'emploi et d'en promouvoir le libre usage plutôt qu'un usage privatif ; une nuance fondamentale.

Quelles conséquences pour nos projets, nos entreprises ?

ous commençons à entrevoir le pouvoir qui découle des propriétés du numérique : la capacité d'engendrer un nouveau modèle de société axé sur la multilatéralité, la décentralisation et l'intelligence des réseaux. Dans le nouvel environnement économique numérique, toute structure hiérarchique sera difficilement durable si elle n'intègre pas une dimension horizontale dans son organisation, une logique de réseau, et une communication plus fluide.

Ce changement de paradigme doit être rapidement compris et intégré par les entreprises et les gestionnaires. La technologie, elle, n’attendra pas. Elle ne connaît pas de freins psychologiques au changement.

Lorsqu'elles s'appliquent à un projet économique, les cinq propriétés du numérique peuvent favoriser un environnement de confiance, ouvert et transparent ; une aire de jeu neutre (neutralité du net). Grâce à cet environnement, l'information abonde et demeure librement accessible. Cependant, le modèle économique actuel incite les entreprises à cultiver la rareté de l'information en la contenant par les divers moyens mis à leur disposition (secrets de fabrication, interdiction de reproduction, filtres à la diffusion), y compris des lois. Or, si l’on considère les cinq propriétés du numérique comme les nouveaux critères de référence, le mode discriminateur de l’information, résultat du modèle économique actuel, ne pourra générer à terme qu'une inertie socio-économique et donc s’avérer peu favorable à l'innovation. En revanche, les valeurs et les pratiques de l'économie sociale et solidaire (ESS) apparaissent beaucoup plus compatibles avec les propriétés du numérique. En valorisant l'initiative individuelle, la coopération en réseau, le partage de données, l'auto-gestion sur un modèle horizontal, multipolaire et peu hiérarchisé, l'ESS propose un nouveau modèle économique en phase avec la transition numérique.

Notes et références

  1. Wikipédia. Outil convivial.