Malinfo vs SlowInfo

De Wiki livre Netizenship
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"On est ce que l’on mange", affirment les nutritionnistes. Va pour le corps. Et l’esprit ? Et si l'on était ce qu’on lit ? Dans le paysage démocratique, la presse est considérée comme le quatrième pouvoir. Un pouvoir qui se doit de contrebalancer et d’équilibrer les trois autres –l’exécutif, le législatif, le judiciaire. C’est dire l’enjeu.

Un quatrième pouvoir mis à mal. Tourmentes économiques et éthiques.

La presse, comme d’autres secteurs, fait face à de nouveaux défis. La concentration toujours plus importante des médias a jeté le discrédit sur leur diversité, sur leur qualité et sur leur objectivité. Volonté de profit, course à l’audience : le journalisme qui permet des gains maximums est celui qui traite de sujets sensationnels. Les stars, les accidents, les nouvelles à consommer sur le champ. Bonnes à jeter juste après. Cela crée une culture du court terme, de la réaction dans l’urgence, et l’économie « de la panique ». Le journalisme qui cherche des gains maximums c’est celui qui utilise le temps de cerveau disponible des lecteurs et des téléspectateurs en entretenant et en favorisant les collusions douteuses avec la publicité (publi-journalisme, journaux gratuits.) Une société du spectacle et du spectaculaire où tout se joue dans l’urgence, sans recul. D’autres modèles ont vu le jour grâce au numérique : blogs, journaux participatifs, médias sociaux permettant la diffusion décentralisée d’informations et l’éclosion du journalisme citoyen. « Tous journalistes ! ». Un mot d’ordre qui a fait frémir la corporation craignant pour ses acquis, et sa survie. Or, le journalisme numérique, même s’il se cherche encore un modèle économique viable, représente une avancée décisive contre la malinformation. Il est participatif : impliquer le lecteur dans le respect d’une charte de déontologie, faire jouer son expertise, l’associer à celle des journalistes permet de multiplier les regards, d’approfondir les sujets. Il est multimédias : il permet d’associer au texte, le son, l’image, la vidéo, les hyperliens. Un article s’enrichit ainsi de plusieurs degrés de lecture. Nourriture physique et nourritures abstraites se rejoignent donc : le slow food a la même philosophie que le slow journalism.


Exemples de nouveau journalisme participatif : Ohmynews, Mediapart, Rue89, AgoraVox, Huffington Post, BondyBlogs, Drudge Report etc.


Encart 1

« Le principe de la liberté de la presse n’est pas moins essentiel, n’est pas moins sacré que le principe du suffrage universel. Ce sont les deux côtés du même fait. Ces deux principes s’appellent et se complètent réciproquement. La liberté de la presse à côté du suffrage universel, c’est la pensée de tous éclairant le gouvernement de tous. Attenter à l’une, c’est attenter à l’autre » Victor Hugo, Discours à l'Assemblée constituante de 1848.

Encart 2

"Les faits sont sacrés, mais les commentaires sont libres." Beaumarchais

Encart 3

Le Saviez-vous ? En 1983, 50 grosses entreprises dominaient le marché international. En 1987, elles n'étaient plus que 29. En 1990, elles sont passées de 29 à 23. En 1997, elles n’étaient plus que 10. En 2003, l’industrie mondiale des médias était dominée par un peloton de tête composé de 9 entreprises géantes. Les cinq plus importantes sont Time Warner (47 milliards d'euro de CA en 2008), Disney (36 milliards US$), Bertelsmann (15 milliards US$), Viacom (13 milliards US$) et News Corporation de Rupert Murdoch (11 milliards US$).

Encart 4

Le Saviez-vous ? En Australie, Rupert Murdoch possède 7 des 12 quotidiens nationaux. En Italie, Silvio Berlusconi contrôle six des sept chaînes de télévision du pays.


Sources iconographiques

http://www.leravi.org/IMG/jpg/05rv60charmag_prozac.jpg

http://www.agoravox.fr/local/cache-vignettes/L444xH270/bottom-up5jpabc6-2c8fe.jpg

http://www.pensee-unique.fr/images/mediablog0.jpg

http://lou.quetiero.free.fr/ARCHIVES/2006-Medias-France.jpg

http://www.agoravox.fr/local/cache-vignettes/L540xH436/media-88a5a.jpg

http://libreria.sourceforge.net/library/Free_Culture/images/media-concentration-alt.png

Sources et notes

Concentration des medias en Suisse : http://www.acrimed.org/article1078.html

Concentration des medias en France : http://www.observatoire-medias.info/imprimer.php3?id_article=103/

http://www.mediapart.fr/club/edition/association-des-lecteurs-de-mediapart-alm/article/010209/faisons-le-point-sur-la-concen

Chiffres internationaux : http://www.youthxchange.net/fr/main/b261_media-concentration-a.asp

Appel de journalistes : http://www.mediapart.fr/club/edition/etats-generaux-de-la-presse-le/article/131008/presse-notre-lettre-ouverte-aux-etats-gen

Charte : http://www.journalistes-cfdt.fr/charte-1918/charte-de-munich.html

François Heinderyckx, La Malinformation Paris, éditions Labor, 2002.

Journalisme de demain: http://hackshackers.com/about/

W. Lance Bennett, Regina G. Lawrence, and Steven Livingston When the Press Fails, Political Power and the News Media from Iraq to Katrina University of Chicago Press, 2007

http://www.press.uchicago.edu/Misc/Chicago/042848.html

Version en ligne

Comment nous manipuler en 10 leçons

Article paru dans Nexus, novembre-décembre 2010


Pressenza International Press Agency a résumé, fin septembre, les dix commandements de la manipulation médiatique, selon le célèbre sociologue Noam Chomsky. Les voici en bref:

  1. La stratégie de la distraction : élément primordial du contrôle social, la stratégie de la diversion consiste à détourner l'attention du public des problèmes importants et des mutations décidées par les élites politiques et économiques, grâce à un déluge continuel de distractions et d'informations insignifiantes (...).
  2. Créer des problèmes, puis offrir des solutions : (...) Par exemple : laisser se développer la violence urbaine (...) afin que le public soit demandeur de lois sécuritaires au détriment de la liberté. Ou encore : créer une crise économique pour faire accepter comme un mal nécessaire le recul des droits sociaux et le démantèlement des services publics.
  3. La stratégie de la dégradation : pour faire accepter une mesure inacceptable, il suffit de l'appliquer progressivement, en « dégradé », sur une durée de dix ans (...).
  4. La stratégie du différé : une autre façon de faire accepter une décision impopulaire est de la présenter comme « douloureuse mais nécessaire », en obtenant l'accord du public dans le présent pour une application dans le futur. Il est toujours plus facile d'accepter un sacrifice futur qu'un sacrifice immédiat (...).
  5. S'adresser au public comme à des enfants en bas âge : si l'on s'adresse à une personne comme si elle était âgée de douze ans, alors, en raison de la suggestibilité, elle aura, avec une certaine probabilité, une réponse ou une réaction aussi dénuée de sens critique que celles d'un enfant de cet âge.
  6. Faire appel à l'émotionnel plutôt qu'à la réflexion.
  7. Maintenir le public dans l'ignorance et la bêtise : (...) la qualité de l'éducation donnée aux classes inférieures doit être la plus pauvre,de telle sorte que le fossé de l'ignorance qui isole les classes inférieures des classes supérieures soit et demeure incompréhensible par les classes inférieures.
  8. Encourager le public à se complaire dans la médiocrité, à trouver « cool » le fait d'être bête, vulgaire et inculte...
  9. Remplacer la révolte par la culpabilité : faire croire à l'individu qu'il est seul responsable de son malheur (...). Ainsi, au lieu de se révolter contre le système économique, l'individu s'auto-dévalue et culpabilise, ce qui engendre un état dépressif dont l'un des effets est l'inhibition de l'action (...).
  10. Connaître les individus mieux qu'ils ne se connaissent eux-mêmes : grâce à la biologie, la neurobiologie et la psychologie appliquée, le « système » est parvenu à une connaissance avancée de l'être humain, à la fois physiquement et psychologiquement. Le système en est arrivé à mieux connaître l'individu moyen que celui-ci ne se connaît lui-même.

Nexus, novembre-décembre 2010

La première guerre du Net est déclarée

Article paru dans le Courrier international, n° 1050 (du 16 au 21 décembre 2010)

Une partie de la communauté des hackers se mobilise pour contrecarrer l'interventionnisme des autorités, qu'ils jugent dangereux. Et tous les coups sont permis.

Cible : www.visa.com : feu feu feu !!'." ordonnait Opération Payback [Opération représailles] sur Twitter le 8 décembre. Moins de trois minutes plus tard, le serveur de Visa était indisponible. Le même phénomène s'est reproduit pour les sites Internet de Mastercard et de PostFinance, la banque suisse qui avait gelé le compte du fondateur de WikiLeaks, Julian Assange. Les sites du parquet suédois et du sénateur américain Joseph Liebermann ont également été attaqués.

Cinquante minutes après l'offensive lancée contre Visa, l'Opération représailles était lancée sur Facebook. Ceux qui pensaient que le terme "cyberguerre" n'était qu'une métaphore inoffensive ont beaucoup appris au cours de la semaine passée. WikiLeaks ayant été quasiment fermé, les hackers ont répondu en attaquant les sociétés qui l'avaient mis hors service. Le terme de "guerre informatique" décrit bien la réalité. "La première guerre de l'information a maintenant commencé. WikiLeaks est le champ de bataille. Vous en êtes les troupes", écrit le pionnier d'Internet John Perry Barlow sur Twitter. C'est lui qui, dans les années 1990, avait rédigé ce qui est désormais connu comme la déclaration d'indépendance d'Internet : "Gouvernements du monde industrialisé, géants fatigués de chair et d'acier, je viens du cyberespace, nouvelle demeure de l'esprit. Au nom de l'avenir, je vous demande, à vous qui appartenez au passé, de nous laisser tranquilles. Vous n'êtes pas les bienvenus parmi nous. Vous n'avez aucun droit de souveraineté là où nous nous rencontrons."

Le document est devenu le symbole d'une époque dans l'histoire anarchique d'Internet et la référence au droit de souveraineté n'était pas qu'un postulat. Si l'on veut comprendre ce que signifie la "liberté d'Internet", il faut savoir que, par son architecture même, Internet est conçu de telle sorte que personne ne sait ce qui circule dans les câbles. Pourquoi, malgré des campagnes intenses, n'a-t-on pas pu faire cesser le piratage de musique et de films ? Pourquoi est-il si difficile d'arrêter WikiLeaks, alors que la volonté politique d'y parvenir est évidente ? La réponse se trouve dans la configuration technique du Net. Ce n'est ni par bienveillance ni par manque de sanctions que ces mesures n'ont pu être prises. L'argument décisif a toujours été la liberté d'Internet.

D'autre part, Internet n'est pas organisé juridiquement comme d'autres secteurs essentiels de l'infrastructure mondiale. Sa structure n'est pas soumise à un contrôle international, mais dirigée par une société américaine qui gère le nom de domaine ".com". Au cours des vingt dernières années, le dynamisme d'Internet a été tellement décisif pour l'évolution mondiale qu'on ne veut pas prendre le risque que l'ONU s'en mêle ou qu'on en arrive à une censure à la chinoise. Reste à savoir si l'événement WikiLeaks peut inverser la tendance et conforter le camp qui souhaite renforcer le contrôle.

La guerre entre les défenseurs de la légitimité de WikiLeaks sur Internet et les partisans de sa fermeture se déroule de manière tout aussi anomique. Les politiques américains ne voulant pas attendre les tribunaux, ils ont laissé des entreprises privées comme Amazon, EveryDNS, PayPal et Visa prendre la décision de principe de fermer ou non WikiLeaks. Les deux camps opèrent sur un territoire non réglementé. Les politiques américains savent parfaitement faire pression, les hackers connaissent l'art de la guerre. Les Etats-Unis ont longtemps compté parmi les partisans les plus farouches de la liberté d'Internet. Après la réaction américaine vis-à-vis de WikiLeaks, on voit mal Barack Obama continuer à affirmer, comme il l'a fait en Chine, que plus le flux d'information est libre, plus la société est solide. A terme, la principale victime est donc la liberté d'Internet, son défenseur le plus ardent ayant perdu de son autorité.

Nikolai Thyssen, Courrier international n°1050