Numérique : sacrées propriétés

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Révision datée du 14 janvier 2014 à 14:33 par RaphaelRousseau (discussion | contributions) (Les cinq propriétés socio-techniques du numérique)

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Terre, air, eau, feu : éléments fondamentaux de la nature, avec leurs propriétés pas seulement physiques mais aussi sociales. Nous les conjuguons au quotidien, avec toutes sortes de recettes qui sont autant de programmes comportementaux : se laver, planter un arbre, se cuire un œuf. La découverte du feu par nos pères a tout changé dans l'histoire de l'humanité. Comment pourrions-nous vivre sans feu ?

C'est un peu la même question aujourd'hui à propos des outils numériques : comment faisions-nous avant ? Téléphones, ordinateurs, satellites... Tant d'outils essentiels désormais pour gérer l'économie, les transports, les relations professionnelles, la formation ! Finalement, le numérique c'est bien plus qu'une succession de uns et de zéros, non ? Cela ressemble davantage à un cinquième élément.

L'éther, défini par Aristote comme la matière invisible du vide dans lequel nous baignons sans le voir, nous en retrouvons la trace dans cet espace illimité d'informations. Certains nomment cet espace la noosphère, sphère des informations, des idées, de la connaissance. La noosphère compléterait la biosphère, sphère de la matière vivante.

Internet est donc bien plus qu'un média. C'est un écosystème hyper-complexe à l'image de la société humaine, avec ses mécanismes, ses codes, ses zones d'influence, ses réactions en chaîne... L'omniprésence de cet environnement dans notre vie est si importante qu'internet est devenu le terreau fertile d'une transition majeure de l'Homo Sapiens vers l'Homo Numericus.

À première vue, cette transition paraît anarchique, incontrôlée, imprévisible et totalement diffuse. Mais, derrière cet apparent désordre, ce chaos en mouvement, ce big bang technologique, il se pourrait qu'un nouvel élément fondamental soit à l’œuvre, avec des propriétés bien spécifiques. Et ses applications sont à peine connues !

Les cinq propriétés socio-techniques du numérique

Quel que soit l'outil de communication numérique, nous avons identifié cinq propriétés fondamentales qui régissent le fonctionnement des flux d'information sous leur forme numérique. Il s'agit d'une hypothèse, d'une proposition qui décrit ces cinq propriétés comme un dénominateur commun pour s'y retrouver. Un phare, un point de repère qui reste invariablement disponible, quel que soit le contexte ou le sujet lié aux environnements numériques.

Propriétés car, comme les quatre éléments (air, feu, eau, terre), le numérique possède des qualités fondamentales, invariables. Socio-techniques, car elles caractérisent autant le fonctionnement technique basé sur les sciences dits "dures (la mécanique, l'électronique) que le fonctionnement sociétal selon les sciences dites "molles" (sociologie, économie, psychologie...).

Cet apport conceptuel est le fruit d'une dizaine d'années de recherche collaborative entre Théo Bondolfi et Raphaël Rousseau, de la fondation Ynternet.org. Ils se sont inspirés des publications de nombreux chercheurs, analysant l'évolution du concept de bien commun dans la société de l'information autant que l'état de l'art.

Parmi les sources essentielles, les travaux d'Heidi et Alvin Toffler sur les changements induits par le numérique, ceux de Richard Stallman sur les enjeux éthiques et sociétaux du logiciel, ceux de Gregory Bateson sur l'écologie spirituelle ou encore de Jurgen Habermas sur connaissance et morale. Les travaux de Marshall Mac Luhan, sur "le média qui serait le message" sont eux aussi compatibles avec l'hypothèse de propriétés invariables du numérique, tout autant que le sont les documentations sur la théorie de la communication (Claude Shannon et Warren Weaver) ou encore les principes de fonctionnement du TCP/IP (fondement d'Internet) et du W3C (qui coordonne l'évolution du Web).

Rares sont les chercheurs qui traitent de propriétés du numériques sur le web. Citons néanmoins Janet Murray dans son livre sur le langage des nouveaux médias [1] et Lev Manovich[2]. Selon Murray, le monde numérique serait invariablement procédural, participatoire (ou participatif), spatial (ou "navigable") et encyclopédique. A cela s'ajouteraient trois propriétés complémentaires : les environnements numériques seraient immersifs, pourraient créer des agencements (autrement dit des "modes d'organisations") et enfin avoir un pouvoir de transformation. Ces quatre à sept propriétés nous semblent tout à fait pertinentes, mais faisant partie d'un large ensemble incluant l'ubiquité (être à plusieurs endroits au même moment), la traçabilité (laisser des traces), la modularité etc... Vous l'aurez compris, nous avons cherché des critères plus fondamentaux encore, qui non seulement engloberaient tous les autres, mais de plus justifieraient des tendances et résultats du monde numérique depuis ses premières applications (années 60) à nos jours. Nous avons abouti à ce jour à une liste sobre et solide de quatre à cinq propriétés. Cette liste résisterait à toute tentative de créer un modèle alternatif, car elle les engloberait et justifierait toutes les tendances existantes. Elle inclut notamment les quatre à sept propriétés de Murray.

Voici ces cinq propriétés invariantes :

1. L'instantanéité : le transfert de l'information numérique est quasiment immédiat, véhiculée par l'électricité à environ 270 000 kilomètres par seconde, proche de la vitesse de la lumière ! Les attentes éventuelles sont dues à l'engorgement ou aux filtres sur les canaux de transmission, tels les antivirus qui scrutent les messages avant de les délivrer. Ces résistances sont néanmoins généralement imperceptibles et ne remettent pas en cause cette première propriété. C'est notamment grâce à cette propriété que tous les médias (courrier, radio, journaux) convergent et se confondent sur le Internet, tout en emportant l'unanimité.

2. La décentralisation : il n'y a pas d'organe pivot par lequel transiterait toute information des écosystèmes numériques. Concrètement, les entreprises privées comme Google n'y pourront rien, pas plus que les gouvernements. Il existe des possibilités de contrôle partiel, par exemple sur les noms de domaines et certains tuyaux de transmission des données. Mais, on le voit dans les mouvements populaires pour la démocratie, c'est peine perdue ! C'est pour cela qu'Internet a été adopté par tous, au détriment du Minitel et du Videotext, qui fonctionn(ai)ent justement de manière... centralisée. C'est pour cela aussi que même le téléphone passe de plus en plus par Internet. La décentralisation réduit, voire annule, la fragilité des systèmes d'information. Personne ne peut en prendre le contrôle, ni couper ou filtrer le réseau d'interconnexion, car tous les nœuds sont des centres potentiels et il y a des milliers de grands nœuds sur Terre.

Cette propriété est directement liée à l'histoire d'Internet, initialement financé par les militaires dans les années 1960 à 1980, sous le nom d'Arpanet. Ils développaient ainsi un moyen décentralisé pour protéger les canaux d'information partant des centres de commandement, préservant donc la communication en direction des troupes sur le terrain. Pour assurer l'interconnexion entre divers systèmes d'ordinateurs, ses fondateurs ont défini des principes de neutralité des réseaux informatiques. Ce faisant, ils ont créé un cadre propice à son adoption par tous les pays, tant pour un usage militaire, académique, citoyen ou commercial, sans conflit d'intérêt. Ce fonctionnement décentralisé d'Internet contribue significativement à la participation démocratique. C'est pour cela que le numérique aide les citoyens producteurs et consommateurs du monde entier à coopérer directement, sans dépendre du bon vouloir d'une direction centrale.

3. La multilatéralité : les échanges d'informations peuvent se faire d'un groupe de personnes à un autre. Le numérique permet non seulement les téléconférences à quelques-uns, mais aussi les communautés virtuelles avec des milliers, voire des millions de participants, chacun contribuant à sa manière, à sa mesure, comme dans les encyclopédies participatives, les réseaux sociaux, les forums... C'est le principe de l'agora, espace de rencontre ouvert à tous, qui se renforce puissamment avec l'adoption d'un réseau collectif mondial des systèmes numériques. On constate dans l'histoire des médias numériques que toute tentative d'aller contre cette propriété a été contre-productif pour les animateurs de ces agoras. Dans ce contexte, tout le monde est au même niveau. Alors qu’inversement, dans les environnements non numériques, la multilatéralité est invariablement... freinée, réduite, minimisée, compliquée. Par exemple l'imprimerie, la radio et la télévision sont des moyens de communication unilatéraux : il y a un émetteur actif (qui "diffuse") et de nombreux récepteurs passifs. Avec les outils numériques, nous devenons tous des émetteurs susceptibles de toucher le monde entier. En créant un compte sur un blog ou dans un réseau social, nous pouvons chacun devenir l'équivalent de stations de radio-télévision. C'est vrai à tous les niveaux, pas seulement pour les enjeux citoyens, mais aussi pour la nouvelle économie du numérique. Bill Gates a lancé Microsoft, adolescent dans un garage. Idem pour Steve Jobs avec Apple. Ce qu'ils craignaient après avoir gagné beaucoup d'argent en vendant l'exclusivité de leur produits bien « packagés », c'était les prochains génies qui allaient les détrôner. Ce qui ne manqua pas d'arriver avec les fondateurs de Google, Facebook et maintenant Twitter qui, devenus leaders, commencent eux aussi à avoir peur des prochains créatifs dans leurs garages.

4. La persistance : Dans les environnement électroniques, l'information persiste. Elle laisse des traces, des copies, elle devient de facto évidence. D'ailleurs, même si on "oublie" ou "supprime" les informations, on en trouve de plus en plus souvent encore trace, à mesure que le monde s'interconnecte. Parmi les aspects obscurs de cette propriété, la sentiment de perte de vie privée qu'elle peut générer. Pour les plus stimulants sociétalement : la transparence, souvent associée à la notion d'ouverture dans toute l'essence du terme.

5. L'asynchronicité : chacun agit à son rythme. Hier on regardait les programmes de télévision à une heure prédéfinie. Avec la télévision numérique à la demande, on peut choisir l'heure de visionnage des films et des émissions, voire mettre sur pause le journal télévisé. Plus largement, on peut choisir quand répondre aux messages ou retrouver sur internet la trace d'un vieil article. Le temps n'a plus la même raison d'être dans la communication numérique. Le numérique permet le travail à distance et à son rythme, asynchrone, avec parfois des séances de coordinations synchronisées. Cette transition apporte une différente perception de l'univers temporel, de l'événement, de soi. Dans les relations sociales et économiques, on peut mesurer le temps, non plus par la montre (Chronos : temps extérieur) mais par le ressenti (Kairos : temps intérieur).

Ces propriétés sont comme un jeu de clés pour bien comprendre le monde numérique, pour bien s'y intégrer. Apprendre à utiliser un programme de traitement de texte est une porte d'entrée. Mais pour se sentir vraiment à l'aise dans les écosystèmes numériques, l'essentiel est de comprendre ces propriétés fondamentales pour utiliser les outils informatiques avec fluidité, et non pas comme des ouvriers spécialisés.

Ces propriétés expliquent ou encadrent les fondamentaux à l'œuvre dans les écosystèmes numériques, décrits dans des articles connexes à celui-ci : des cathédrales aux bazar, la sagesse des foules, la longue traîne, les principes de Metcalfe & Pareto, le principe de coopétition...

Une vision organique du numérique

Et si le plus important n'était pas tant l'information reçue que les nouveaux comportements sociaux pour la partager ?

Dans l'essai Pour comprendre les médias : les prolongements technologiques de l'homme (Canada, 1964, traduit en français en 1968), le chercheur Marshall McLuhan partage une thèse qui est devenue une référence pour les sciences de l'information et de la communication : « Le message, c'est le médium ». McLuhan démontre que le message, contenu de la communication est accessoire : le véritable message étant le média lui-même. Le média est donc ainsi compris au sens moyen de communication, mode, manière, fonctionnement.

C’est pourquoi les médias (presse, radio, télévision, livre, etc.), d'après l'auteur, exercent une action profonde sur l'individu puisqu'ils sont le prolongement de nos organes physiques et de notre système nerveux. En d'autres termes, le mode de fonctionnement d'internet aurait plus d'impact sur la société que le contenu des pages web que nous lisons. C'est le moyen de transporter l'information qui compte, car le mode de fonctionnement des flux d'informations programme l'organisation de notre société. Lamarck, ami et contradicteur de Darwin, le disait déjà au XIXe siècle avec sa formule « la fonction crée l'organe ».

Le modèle du rhizome

Pour symboliser ces phénomènes nouveaux, le philosophe des médias Gilles Deleuze parle quant à lui de « rhizome », une forme de réseaux organiques, où branches et racines s'entremêlent.

Dans la théorie philosophique de Gilles Deleuze et Félix Guattari, « un rhizome est un modèle descriptif et épistémologique dans lequel l'organisation des éléments ne suit pas une ligne de subordination hiérarchique mais où tout élément peut affecter ou influencer tout autre. » – (Deleuze & Guattari, 1972)

Le rhizome n'a pas de centre. La notion est adaptée de la structure de beaucoup de plantes, dont les bourgeons peuvent se ramifier en n'importe quel point, ainsi que s'élargir et se transformer en un bulbe ou un tubercule ; le rhizome des plantes, qui peut servir de racine, de tige ou de branche peu importe sa position sur la plante.

Les propriétés du numérique énoncées ci-dessus corroborent « l'idée que la structure de la connaissance n'est pas dérivée, au moyen de déductions logiques, d'un ensemble de principes premiers, mais plutôt qu'elle s'élabore simultanément à partir de tout point, sous l'influence réciproque des différentes observations et conceptualisations. Une organisation rhizomatique de la connaissance est une méthode pour exercer une résistance contre un modèle hiérarchique qui traduit en termes épistémologiques une structure sociale oppressive. » - Deleuze & Guattari, 1980.[3]

La notion de convivialité

Le concept d'outil convivial est introduit par le pédagogue Ivan Illich dans La convivialité (Tools for conviviality, 1973) « pour formuler une théorie sur une société future à la fois très moderne et non dominée par l'industrie ». Il nomme conviviale « une telle société dans laquelle les technologies modernes servent des individus politiquement interdépendants, et non des gestionnaires ». Les outils conviviaux sont alors les outils maniés (et non manipulés) par ces individus dans cette société. Le terme d'outil est utilisé ici dans un sens très large, c'est-à-dire tout instrument, objet ou institution mis au service d'une intentionnalité ou comme moyen d'une fin (tournevis, téléviseur, usine de cassoulet, autoroutes, langage, institution scolaire, permis de construire, lois, etc.). Toute action humaine et relation sociale se fait donc par le biais d'outils. Illich montre toutefois que les outils ne sont pas neutres et modèlent les rapports sociaux entre les hommes ainsi que le rapport de l'homme au monde.

Illich distingue ainsi les outils selon leur degré de convivialité. L'outil convivial est maîtrisé par l'homme et lui permet de façonner le monde au gré de son intention, de son imagination et de sa créativité. C'est un outil qui rend autonome et qui rend « capable de se charger de sens en chargeant le monde de signes ». C'est donc un outil avec lequel travailler et non un outil qui travaille à la place de l'homme. À l'inverse l'outil non-convivial le domine et le façonne.

Un outil convivial doit donc selon lui répondre à trois exigences :

  • il doit être générateur d'efficience sans dégrader l'autonomie personnelle ;
  • il ne doit susciter ni esclave ni maître ;
  • il doit élargir le rayon d'action personnel.[4]

Par ses propriétés permettant aux individus d'interagir à leur propre rythme et d'être créateur de leur propre autonomie, le numérique favorise les dynamiques socio-économiques conviviales. À condition, si on suit la pensée d'Illich, de rendre accessible à tous son mode d'emploi et de promouvoir son libre usage et non un usage privatif. Une nuance fondamentale.

Quelles conséquences pour nos projets, nos entreprises ?

Nous commençons à entrevoir le « pouvoir » qui découle des propriétés du numérique : la capacité d'engendrer un nouveau modèle de société axé sur ces quatre propriétés invariables, qui sont autant de fondements de l'intelligence des réseaux. Dans le nouvel environnement économique numérique, toute structure hiérarchique sera difficilement durable si elle n'intègre pas une dimension horizontale dans son organisation, une logique de réseau, et une communication plus... organique.

Ce changement de paradigme doit être rapidement compris et intégré par les entreprises et les gestionnaires. La technologie, elle, n’attendra pas. Elle ne connaît pas de freins psychologiques au changement. Lorsqu'elles s'appliquent à un projet économique, les cinq propriétés du numérique peuvent favoriser un environnement de confiance, ouvert et transparent, une aire de jeu « neutre » (ce que l'on appelle la « neutralité du Net »). Grâce à cet environnement, l'information abonde et demeure librement accessible. Richard Stallman parle de "non discrimination radicale". Il nous rappelle à quel point ce radicalisme est un prérequis non seulement pour les aspects sociaux, mais aussi ou surtout pour les aspects économiques d'une société où les codes logiciels sont dans notre environnement quotidien, comme l'eau et l'air. Nous avons besoin d'un air et d'une eau purs pour bien vivre, pourquoi par un système d'information pur ?

A travers cette théorie, nous prétendons que les propriétés du numérique justifient ce radicalisme autant que les propriétés de l'eau justifient qu'on maintienne la glace à moins de zéro degré pour éviter qu'elle ne fonde. Nous prétendons donc qu'il n'y a que deux tendances. Tendance un : accepter les déploiements des propriétés du numérique, à mesure que le numérique se déploie dans nos vie. Ce qui signifie apprendre à gérer le monde numérique en fonction des enseignements reçus au 21e siècle, en s'inspirant par exemple de nos manières de gérer le monde des transports avec des signaux communs, des permis de conduire compatibles internationalement, etc... Parlons alors de "devenir le média". Ou tendance deux : essayer de résister, avec les moyens disponibles. Parlons alors de "rejeter le média".

Vous en êtes conscient : le modèle économique principal de ce début de 21e siècle reste basé sur l'ancien paradigme dans lequel il y un centre qui diffuse unilatéralement, pas toujours instantanément, et surtout en évitant toute copie. Fondamentalement, l'humanité n'a pas encore adopté la culture numérique, elle n'a fait qu'adopter des petits morceaux, sans être capable d'en nommer ni décrire ses propriétés. Nous sommes des milliards d'internautes, mais la proportion d'entre nous qui prend le temps d'essayer de comprendre les sources du monde numérique est encore bien faible. Ceci explique pourquoi majorité des entreprises cultivent encore la rareté de l'information comme un art ; pourquoi les brevets sont toujours la voie royale dans la recherche ? Pourquoi les états refusent de reconnaitre le bienfait d'une gouvernance plus transparente ? Pourquoi l'accès à l'internet haut débit est freiné par les grandes entreprises de télécommunications ? Pourquoi le show-business ne reconnait-il pas que le modèle du copyright n'est plus fonctionnel à l'heure d'Internet ? etc.

Le monde numérique est pourtant dirigé par les entreprises qui ont investi des milliards en surfant sur les vagues de ces nouvelles propriétés : dans le top 10 des sites web les plus visités, presque tous ont réduit au strict minimum les secrets de fabrication, l'interdiction de reproduction, les filtres à la diffusion, le contrôle des informations par une autorité centrale, etc... En 2014, dans ce top 10 il y a notamment Google, Facebook, Amazon et Twitter. Il y aussi le Wikipedia qui, lui, respecte intégralement ces propriétés socio-techniques dans son fonctionnement, et réussit à rester dans le top 10 depuis plus de 8 ans sans investir le centième des fonds de ses concurrents pour des résultats similaires. Chez les autres, tous gérés de manière centralisée, il reste quelques discriminations, plus ou moins grandes et flagrantes. Vue leur taille démesurée (des milliards de clients, littéralement), s'ils veulent durer encore des décennies comme leaders de leurs segments de marché, ils n'ont qu'une solution : mieux respecter les propriétés du numérique. Comment ? Notamment en réduisant la centralisation de leurs pouvoirs de décision. Actuellement leurs clients sont traités comme des marchés plus que comme des partenaires, c'est le point faible à modifier. On peut justement l'identifier en s'appuyant sur les propriétés socio-techniques du numérique. Nous pensons que quiconque ne croit pas que ces propriétés sont un prérequis pour toute stratégie de communication à l'ère du numérique fait un investissement sur le court terme ; il perd sur le long terme, sauf correction rapide de stratégie, vers plus de participativité, de transparence... ou alors il sera progressivement remplacé par une initiative respectant mieux ces propriétés.

Quelle solution de remplacement ? Par exemple les valeurs et les pratiques de l'Économie Sociale et Solidaire (ESS), basées sur le partage de connaissance, la transparence, la collaboration en réseau de type bazar, apparaissent beaucoup plus compatibles avec les propriétés du numérique. En valorisant l'initiative individuelle, la coopération en réseau, le partage de données, l'auto-gestion sur un modèle horizontal, multipolaire et avec peu de hiérarchies de statut, l'ESS propose un nouveau modèle socio-économique en phase avec la transition numérique en cours.

Notes et références

  1. Murray, Janet. Hamlet on the Holodeck : the Future of Narrative in Cyberspace. (Cambridge, Mass.: MIT Press, 2000).
  2. Manovich, Lev. The Language of New Media. Cambridge, Mass.: MIT Press. 2001.
  3. Page Wikipédia sur la notion de Rhizome.
  4. Page Wikipédia sur le concept d'outil convivial.