Pirater ou se libérer?

De Wiki livre Netizenship

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Copier est-ce vraiment voler ? C'est une question qui fâche...

Comparer un copieur de série télé à un braqueur de banque ou à un violeur semble pour le moins excessif. C'est pourtant ce qui se fait couramment lorsqu'on veut jeter l'opprobre sur ceux qui outrepassent cette interdiction.

De nouvelles lois ou projets de lois – DADvSI, HADOPI et LOPPSI 2 en France – fleurissent ça et là, qui entendent déclarer les copieurs hors-la-loi. Conçues, promues et votées par des personnes qui n'ont pas saisi l'impact, profond et irréversible, des propriétés sociotechniques du numérique, ces lois se révèlent contre-productives, liberticides et inapplicables à large échelle. La seule volonté de dénoncer et de condamner ces pirates est source d'échec, de confusion et d'enlisement collectif.

Il est rare que la presse contribue de façon constructive à ce type de débats. Bousculée elle-même par l'arrivée du numérique, par la compression de ses effectifs, par l'augmentation du flux d'information à gérer, la presse peine à conserver son indépendance d'esprit. Il lui est difficile d'assurer une juste pesée des événements. La requalification du moindre copieur en « pirate », le détournement du sens du mot « hacker », le mélange indifférencié dans la même rubrique d'affaires de copyright et de vol de carte bancaire contribuent à jeter le discrédit sur les « copieurs », mais également sur la corporation journalistique. Mieux vaudrait aborder de front et en profondeur un enjeu aussi fondamental que l'évolution du système du droit d'auteur à l'ère du numérique.

À la décharge de ceux qui stigmatisent les pirates, il existe plusieurs « familles » de hackers, ce qui brouille les cartes. Tantôt bienveillants, tantôt copieurs, ils sont parfois attirés par le petit coup de pub que leur vaudra une manipulation moins propre que les autres. De tels abus procèdent toutefois souvent d'une blessure initiale, dont l'origine n'est autre que... le manque de reconnaissance d'une bonne action : il suffit de lire le Manifeste du hacker[1] pour mesurer l'éthique très saine qui anime cette population et le sentiment d'exclusion qu'elle semble vivre dès l'enfance, sur les bancs de l'école.

« Oui, je suis un criminel. Mon crime est celui de la curiosité. Mon crime est celui de juger les gens par ce qu'ils pensent et disent, pas selon leur apparence. Mon crime est de vous surpasser, quelque chose que vous ne me pardonnerez jamais. » Extrait du Manifeste du hacker.

À ce jour, ce Manifeste sert de base éthique au hacking et affirme qu'il y a dans cette activité un objectif qui supplante le désir égoïste d'exploiter ou de causer du tort aux autres.

Tenter de distinguer la minorité de crackers (terme le plus approprié) dangereux de tous les autres utilisateurs astucieux d'ordinateurs est un acte citoyen de grande valeur. C'est un grand pas vers la réconciliation sociale et la compréhension interculturelle.

Comment rencontrer des hackers ? Contacter le Groupes d'Utilisateurs de Logiciels Libres (GUL) le plus proche de chez vous [2].

Cinq familles d'utilisateurs astucieux de l'informatique

Les power users (utilisateurs avancés)

Les power users sont des utilisateurs qui vont au-delà de l'usage que Monsieur Tout-le-Monde fait de son ordinateur : ils en maîtrisent les fonctionnalités et explorent les options avancées, ils prennent des risques, se renseignent auprès d'informaticiens, échangent des astuces dans les forums, dévorent les documentations (parfois techniques), ne tremblent pas devant un mode d'emploi. Au sein de leur entourage, ils font figure de héros du numérique, ces braves petits gars capables de récupérer des données effacées par erreur ou de faire marcher la vieille imprimante que plus personne n'arrivait à utiliser. Ils sont capables d'installer et de paramétrer des logiciels et, parfois même, de réinstaller leur système d'exploitation ! De vrais anges gardiens du monde numérique...

Les copieurs

Les copieurs profitent de la volatilité de l'information numérique et de sa duplication instantanée à coût nul pour enfreindre la législation en matière de droits d'auteur. Ils copient des documents numériques juridiquement protégés (images, livres, films, musiques, logiciels) mais ne sont généralement ni très astucieux, ni très dangereux. On pourrait les comparer aux buveurs de bière à l'époque de la prohibition aux États-Unis : des consommateurs (illégaux) en train de s'abreuver dans une cave de Chicago ou de New-York qui prennent la fuite par une porte dérobée quand la police fait irruption.

Bien sûr, copier sans autorisation demeure illégal, dans le cas des créations dont les auteurs n'autorisent pas expressément la copie. La question de savoir s'il est toujours justifié de considérer la copie comme illégale se pose cependant de façon plus aiguë que jamais. Sur cette évolution – inéluctable ? – des droits d'auteur et du copyright, les avis sont très partagés. Mais il faut savoir que les solutions socio-économiques susceptibles de servir à la fois les intérêts des auteurs et ceux des consommateurs existent, qu'elles ont déjà été identifiées, testées et documentées. Si elles émergent, c'est grâce aux acteurs de la culture Libre, qui est le fil rouge de la culture numérique. Elles s'inscrivent dans un cadre tout à fait légal mais demeurent encore trop méconnues des artistes, des politiciens, des journalistes, des consommateurs et même des juristes, pourtant censés maîtriser la gamme des options légales disponibles.

Les hackers et les crackers

Les hackers et les crackers représentent deux familles d'informaticiens très astucieux. Ils passent ainsi beaucoup de temps à s'auto-former aux techniques logicielles en démarrant souvent très jeunes, stimulés par la dimension ludique du numérique.

Les hackers découvrent des astuces pour améliorer les logiciels, comme un jardinier qui embellit un parc grâce à son savoir-faire. Ils contribuent à régler des problèmes informatiques qui concernent souvent des millions d'internautes. Ils s'investissent sans compter les heures, parfois bénévolement, pour la beauté de l'acte et le plaisir d'avoir trouvé la solution au problème qu'ils ont identifié. Ils restent le plus souvent inconnus hors de leurs communautés virtuelles. Les meilleurs d'entre eux appartiennent pourtant à une nouvelle espèce d'anges gardiens, qui facilite l'accès de tous au cyberespace.

On distingue deux types de crackers :

  1. Les crackers bienveillants (« white hats », symbolisés par un chapeau blanc). Leur ambition est le plus souvent d'identifier les failles de sécurité d'un réseau, comme un biologiste traquant les virus pour anticiper les épidémies. Lorsqu'ils trouvent une faille de sécurité, la majorité des crackers contactent les responsables des programmes et se proposent de les aider à la réparer en utilisant leur expertise.
  2. Les crackers malveillants, pirates dangereux (« black hats », symbolisés par un chapeau noir). Seuls ceux qui entrent dans cette catégorie peuvent être désignés comme des « pirates à combattre ». Ils réussissent parfois à entrer dans une base de données et dérobent des numéros de cartes bancaires ou prennent le contrôle de la messagerie d'autrui. Ils sont effectivement des dangers publics, mais représentent un faible pourcentage des hackers.

Les script kiddies

Les script kiddies, enfin, ne sont que les utilisateurs des programmes concoctés par des crackers et diffusés sur internet. Grâce à ces programmes, parfois modestement adaptés ou détournés, les script kiddies lancent des attaques à grande échelle pour prendre le contrôle d'ordinateurs distants, mettre en berne un site web ou usurper une identité et soutirer des informations sensibles telles que des numéros de cartes bancaires ou des mots de passe.

Le saviez-vous ?

« Hacker est à l'origine un mot anglais signifiant bricoleur, bidouilleur, qui sera utilisé en informatique pour désigner les programmeurs astucieux et débrouillards. Plus généralement, le terme désigne le détenteur d'une compétence technique capable de modifier un objet ou un mécanisme pour le détourner de l'usage pour lequel il avait été initialement conçu. »

Comment réagir face aux hackers et aux crackers ?

Il n'est pas exceptionnel que des élèves âgés de moins de 18 ans réussissent à contourner la sécurité informatique de leur école et à pénétrer dans les serveurs, pour y faire un peu de tout. Cela n'arrive pas que dans les films. Comment réagir, concrètement ? Il faut tout d'abord distinguer entre les deux types de procédés : Hacking = L'intelligence ludique ; Cracking = Rompre la sécurité informatique (bien ou mal intentionné).

Un étudiant peut tout à fait tenter de trouver les failles du système pour démontrer que les responsables du service informatique n'ont pas assez bien fait leur travail. S'il n'est pas pris au sérieux, s'il est considéré comme coupable d'un abus et non pas reconnu comme l'« ange gardien » qu'il se croyait être, il a toutes les chances de se braquer et d'entrer en quelque sorte en « résistance ». Parmi les autres répliques possibles, une direction informatique avisée aura tout intérêt à investir le temps nécessaire (c'est certes difficile, mais payant sur le long terme) dans une étroite coordination avec les services de police chargés de ce type de prévention.

Une telle coopération aura plusieurs effets :
Valoriser les compétences des petits génies informatiques en les impliquant dans des groupes de travail consacrés à la sécurité informatique (création d'une hotline animée par leurs soins, mise en place d'une « task force » du type comité de surveillance de quartier, mais au niveau de l'informatique scolaire). La reconnaissance de l'expertise des jeunes hackers, leur valorisation par cette approche participative et inclusive, feraient gagner du temps et de l'argent aux services informatiques. On peut imaginer l'organisation de présentations, une fois l'an, devant l'équipe informatique scolaire, en coordination avec les enseignants. Les psychologues scolaires seront incités, de leur côté, à aborder avec les crackers la question des limites. Encourager la mise en place de punitions sérieuses pour les récidivistes et autres mineurs présentant des comportements mal intentionnés de façon réitérée.

Les entreprises de sécurité informatique sont les premières à recruter des crackers, non sans avoir vérifié qu'ils étaient fondamentalement bien intentionnés et, le plus souvent, choqués de constater que des données sensibles puissent être si facilement accessibles.

Les DJ du Libre

Les DJ sont aujourd'hui les rois de la musique. Ils se trouvent être des remixeurs, c'est-à-dire qu'ils ne partent pas de rien mais saluent les créations des autres en les mettant en valeur, en apportant leur petite touche supplémentaire. C'est l'une des grandes transitions en cours : de la production de l'information à la gestion de son flux.

La culture Libre participe du même état d'esprit : celui qui consiste à apporter sa modeste part pour contribuer à un édifice commun, après avoir d'abord prêté attention à l'immensité des contributions précédentes. Nombreux sont ceux, aujourd'hui, qui remixent les œuvres inconsciemment. Leurs créations, qui sont surtout des recyclages d'idées existantes, leurs paraissent pourtant « uniques ». Ces remixeurs craignent même de se faire « piquer » leur idée, alors qu'ils ont eux-mêmes « emprunté » à gauche et à droite pour la développer.

Nous sommes tous plus que jamais des remixeurs dans tous les domaines : recherche scientifique, mode, musique, livres pédagogiques, philosophie. Aujourd'hui déjà, et demain encore plus, nos activités sociales et professionnelles sont basées sur la gestion de répertoires, de bases de données, davantage que sur leur création. Notre quotidien consiste à découvrir les œuvres de l'esprit, dans toutes les disciplines, à les étudier, à les connecter et à contribuer à les mettre à jour. Comme le ferait un disc-jockey.

RiP : Le manifeste du remixeur

RiP : Remix Manifesto : ce long métrage documentaire fouille les complexités de la notion de propriété intellectuelle à l’ère du partage de fichiers pair-à-pair. Le cinéaste militant du web Brett Gaylor interroge des acteurs importants du débat, dont le roi des collages musicaux de Pittsburgh, Girl Talk. Création de « remixage » en soi, RiP fracasse les barrières entre utilisateurs et producteurs et conteste les limites de « l’utilisation équitable ». À visionner sur www.onf.ca

Notes et références

  1. Le Manifeste du Hacker (titré en anglais The Hacker Manifesto, ou The Conscience of a Hacker, « La Conscience d'un hacker ») est un petit article écrit le 8 janvier 1986, par le hacker Loyd Blankenship après son arrestation, sous le pseudonyme de « The Mentor ». Publié pour la première fois dans le magazine électronique underground Phrack, on peut de nos jours le trouver sur de nombreux sites web.
  2. [Liste de l'Association Francophone des Utilisateurs de Logiciels Libres sur www.aful.org.]