La conjecture de Moore, stimulateur de transition : Différence entre versions
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− | Ainsi se manifeste le passage d'une économie de la rareté à une économie de l'abondance. Libre à chacun aujourd'hui d'ouvrir un compte Google et de disposer d'un espace mémoire très important, sans autre contrepartie immédiate que celle d'apprendre à utiliser un outil pour lequel il finira par devoir payer un jour ou l'autre et d'une manière ou d'une autre. | + | Ainsi se manifeste le passage d'une économie de la rareté à une économie de l'abondance. Libre à chacun aujourd'hui d'ouvrir un compte Google et de disposer d'un espace mémoire très important, sans autre contrepartie immédiate que celle d'apprendre à utiliser un outil, pour lequel il finira par devoir payer un jour ou l'autre, et d'une manière ou d'une autre. |
'''Mais ce n'est qu'une conjecture, et non pas une loi.''' | '''Mais ce n'est qu'une conjecture, et non pas une loi.''' |
Version du 4 janvier 2013 à 12:50
Dans les magasins d'électronique, pourquoi le coût des ordinateurs baisse-t-il autant et si vite, pendant qu'augmente leur puissance ? Gordon Moore a trouvé la réponse à cette question dès les années 1960, avant même que nous ne nous la posions.
Né le 3 janvier 1929 à San Francisco, il est l'un des cofondateurs d'Intel, premier fabricant mondial des semi-conducteurs et transistors qui équipent les ordinateurs. Moore a réalisé des calculs visant à démontrer que la puissance de traitement des données numériques est désormais multipliée par deux tous les 12 à 24 mois dans trois domaines : vitesse de traitement, capacité de stockage et puissance. C'est pour cette raison que les disques durs, ordinateurs et téléphones en vente sur le marché baissent de prix et augmentent chaque année en capacité de traitement et de stockage.
Dès les années 1980, excitées par l'affirmation de Moore, les start-ups pressées de l'économie numérique ont incité les investisseurs à miser avant les autres sur des marchés de niche du numérique : Amazon pour la vente en ligne, Skype pour la téléphonie, Google pour les moteurs de recherche, Facebook pour les réseaux sociaux…
À court terme ces capital-riskers sont certes financièrement perdants, mais par la suite les clients des nouveaux géants du numérique, une fois devenu dépendants du produit concerné, auront les plus grandes difficultés à changer d'environnement. Une preuve simple : combien d'utilisateurs ont-ils réussi à quitter MS-Office (MS-Word, MS-Excel, MS-Powerpoint) pour la suite bureautique LibreOffice.org ou OpenOffice.org, offrant pourtant à 99 % les mêmes fonctions ? Une fois rendus captifs, les clients rendent l'éditeur bénéficiaire, car les coûts de fabrication tombent en dessous des profits potentiels. C'est exactement le cas de Microsoft, Google, Amazon, eBay…
La conjecture de Moore a donc constitué l'argument le plus « raisonnable » qui justifie d'investir massivement dans une start-up Internet.
Ainsi se manifeste le passage d'une économie de la rareté à une économie de l'abondance. Libre à chacun aujourd'hui d'ouvrir un compte Google et de disposer d'un espace mémoire très important, sans autre contrepartie immédiate que celle d'apprendre à utiliser un outil, pour lequel il finira par devoir payer un jour ou l'autre, et d'une manière ou d'une autre.
Mais ce n'est qu'une conjecture, et non pas une loi.
Car cette théorie se heurte à plusieurs limites qui prédisent un effondrement possible de ce modèle d'investissement massif dans des technologies initialement trop chères, mais permettant de rendre les clients captifs. Ces limites se fondent notamment sur les faits suivants :
- la micro-électronique devrait arriver au stade de l'atome avant 2020. Ensuite, il ne sera plus possible de faire plus petit. Les alternatives, comme l'informatique quantique, sont trop instables et dysfonctionnelles, malgré des années de tests ;
- les matériaux rares comme le silicium, indispensable pour les microprocesseurs d'Intel qui équipent nos ordinateurs et téléphones, sont disponibles sur terre en quantité limitée ;
- le recyclage n'est que partiel et la pollution électronique commence à poser de réels problèmes ;
- accessoirement, les besoins en électricité augmentent bien plus vite que les réserves de production disponibles et de nouvelles pénuries sont possibles.
Conjecture de Moore, ce qu'il faut retenir
La connaissance du fait que la puissance de traitement des données numériques est multipliée par deux tous les douze à vingt-quatre mois a permis des investissements massifs dans l'économie numérique, ce qui a contribué à populariser l'utilisation d'Internet. Même si ces investissements ont été effectués au profit de quelques entités financières leur permettant de « coloniser » le marché et de rendre captifs les utilisateurs, le phénomène a considérablement boosté la transition vers la nouvelle société de l'information. Il est de plus en plus probable que le modèle économique privateur basé sur l'exclusivité, qui n'est rentable que sur le court terme dans la conjecture de Moore (car celle-ci bute désormais sur l'infiniment petit), soit détrôné par le modèle du libre, qui n'a pas besoin d'investissements massifs pour se développer et innover. D'autant plus que le Libre, dont la structure dominante est celle du bazar (voir notre article Des cathédrales aux bazars), semble bien plus adapté aux propriétés du numérique. C'est un important signal d'espoir pour tous les petits acteurs d'une économie à visage humain, qui ne spécule pas, et qui s'inspire de wikipedia et des logiciels libres pour développer des réseaux de petits acteurs socio-économiques plus éthiques et solidaires que les conglomérats du commerce mondial. |
De la société industrielle à la société de l'information
La rupture technologique en cours nous fait passer de l'ère industrielle à la société de l'information. L'innovation high-tech est en quelque sorte le pivot entre les deux modèles. « Ce qu'il y a de différent dans les semi-conducteurs comme dans beaucoup de produits high-tech, c'est leur ratio très élevé de matière grise par rapport au muscle. En terme économique, leurs intrants (la matière première, ndlr) sont davantage intellectuels que matériels. Après tout, les puces ne sont que du sable (silicium) très habilement utilisées », écrit Chris Anderson dans son best-seller, Free! [1]
Or, à la différence des biens de consommation matériels, les idées peuvent circuler gratuitement, sans perte pour ceux qui la partage. « Celui qui reçoit une idée de moi reçoit de l’instruction lui-même sans amoindrir la mienne, de même que celui qui allume sa chandelle à la mienne reçoit la lumière sans me plonger dans la noir », disait déjà Thomas Jefferson, le père du système des brevets.
« Ainsi, explique l'auteur de Free!, les idées sont-elles la matière première abondante par excellence, elles se propagent à un coût marginal nul. Une fois créées, elles ne demandent qu'à se répandre loin et largement, enrichissant tout ce qu'elles touchent (...) Mais dans la vie économique (actuelle, ndlr), les entreprises gagnent de l'argent en raréfiant artificiellement les idées, grâce au droit de la propriété intellectuelle. Les brevets, droits d'auteur et secrets commerciaux visent par nature à bloquer l'écoulement naturel des idées dans l'ensemble de la population, assez longtemps pour réaliser un profit (...). Mais vient un jour où les brevets expirent et les secrets transpirent : on ne peut enchaîner les idées perpétuellement. » Et encore moins depuis que nous avons mis le pied dans l'économie numérique et la société de l'information.
Pour Chris Anderson, voici la leçon du Web et de l'économie numérique, qui est basée sur l'information : « quand le prix de quelque chose baisse de moitié chaque année, le zéro est inévitable ! Plus les produits sont faits d'idées au lieu de matière, plus vite ils peuvent devenir bon marché. C'est la racine de l'abondance qui mène à la gratuité dans le monde numérique. »
Notes et références
- ↑ Free ! Entrez dans l'économie du gratuit, Pearson Éducation France, 2009