Propriétaire, Libre et Open Source

De Wiki livre Netizenship
Révision datée du 2 avril 2013 à 22:43 par Pryska ducoeurjoly (discussion | contributions) (Salutation à Francis Muguet (encadré))

Libre, Open Source, gratuit, exclusif ---


Pour bien comprendre qui contrôle quoi dans la circulation de l'information, sous quelque forme que ce soit, il faut connaître la différence entre libre et ouvert, mais également comprendre ce que peuvent impliquer les termes exclusif ou "propriétaire".

Open source, cette expression est de plus en plus utilisée pour décrire les nouveaux modes d'innovation informatique, technologique et économique. On l'emploie désormais à toutes les sauces, parfois de manière abusive. Quelle est donc la différence avec le terme Libre, tel qu'employé dans l'expression logiciel libre ou culture Libre? Cette différence est à l'origine d'un désaccord qui oppose les partisans de l’open source et ceux du logiciel libre depuis la fin des années 90. Retour sur ces notions fondamentales de l'eCulture.

A l'origine était le logiciel «Libre»

Comme presque toujours dans la culture numérique, c'est dans le vivier des spécialistes de l'informatique que les concepts émergent, s'affinent, se distinguent progressivement les uns des autres. Un premier rappel historique permet de comprendre un premier glissement : du logiciel libre au logiciel soumis à droit d'auteur («propriétaire»).

A l'époque des premiers ordinateurs, le matériel informatique constituait la première source de revenus des fabricants, le logiciel n'étant qu'un moyen d'en faciliter la vente. L'accès au code source était normal, car nul n'achetait un ordinateur sans disposer d'une équipe de programmeurs. Les milieux professionnels et universitaires s'échangeaient volontiers logiciels et codes sources, et les constructeurs cédaient le leur sans contrepartie. Jusqu'à ce que les lois antitrust le leur interdisent afin de permettre l'exercice d'une concurrence dans ce domaine[1].

Les constructeurs commencèrent alors à facturer séparément leurs logiciels au début des années 1970 ; en quinze ans, l'avènement de la micro-informatique généralisa ce modèle et donna un essor aux éditeurs de logiciels qui s'orientèrent vers la vente de licences d'utilisation. Un exemple souvent cité pour illustrer ce tournant est la lettre ouverte de Bill Gates aux hobbyistes, en 1976, leur enjoignant de cesser de copier illicitement les logiciels.

C'est dans ce contexte, dans les années 80, qu'un programmeur de système d'exploitation au Massachusetts Institute of Technology (MIT), un certain Richard Stallman (alias RMS), commence à constater des restrictions de possibilités d'utilisation, sur un pilote d'imprimante notamment[2]. Il se trouve par ailleurs face au problème éthique de devoir développer des logiciels dont l'utilisation sera restreinte, qui ne pourront pas être partagés en raison des droits du propriétaire du logiciel (souvent distinct du créateur).

Bien qu'anecdotique, cette petite histoire est souvent prise comme étant le point de départ de l'informatique libre, puisque c'est à partir de là que Richard Stallman consacrera son énergie à résoudre ce problème de conscience, ce qui fera de lui le premier et le plus emblématique des ambassadeurs du logiciel libre.

Les quatre libertés fondamentales du Libre

Les idées d'avant-garde de Richard Stallman ont abouti en 1984 au projet GNU, système d'exploitation libre (pour ordinateur). Le projet GNU a été lancé afin de « ramener l'esprit de coopération qui prévalait dans la communauté hacker dans les jours anciens », lorsqu'il n'était pas encore question de propriété intellectuelle, et que tous les codes sources s'échangeaient librement. Stallman est aussi à l'initiative de la création de la Free Software fondation (FSF), en 1985, et de la première licence logicielle libre, en 1989, la Licence publique générale GNU (dite GPL).

L'adjectif "Libre" implique quatre libertés fondamentales telles que définies par la Fondation pour le Logiciel Libre (Free Software Foundation, FSF). Initialement, l'usage de l'expression « libre » dans la société de l'information se réfère au code d'un logiciel et donne à l'utilisateur d'un logiciel libre :

  1. La liberté d'exécuter le programme, pour tous les usages (liberté 0) ;
  2. La liberté d'étudier le fonctionnement du programme, et de le modifier pour qu'il fasse votre travail informatique comme vous le souhaitez (liberté 1). Pour ceci l'accès au code source est une condition nécessaire ;
  3. La liberté de redistribuer des copies, donc d'aider votre voisin (liberté 2) ;
  4. La liberté de distribuer aux autres des copies de vos versions modifiées (liberté 3). En faisant cela, vous pouvez faire profiter toute la communauté de vos changements. L'accès au code source est une condition nécessaire.

Du Libre à l'Open Source

Les motivation du projet GNU relèvent de l'éthique et de la philosophie politique. Il vise en effet à ne pas laisser l'homme devenir l'esclave de la machine et de ceux qui auraient l'exclusivité de sa programmation, ou de cartels monopolisant des connaissances en fonction de leurs seuls intérêts. Le projet GNU œuvre pour une libre diffusion des connaissances, ce qui n'est pas sans implications politiques, éthiques, philosophiques et sociales, ou sociétales. Une radicalité dans les enjeux qui ont provoqué des résistances, même au sein des partisans de la libération du code. Dès les années 90, l'émergence de la culture libre et du copyleft rencontre plusieurs problèmes:

  • Le mot libre est trop confus. En anglais Free veut aussi dire gratuit, ce qui n'est pas toujours le cas d'un logiciel libre, mais peut être celui d'un logiciel propriétaire (le client peut devenir la marchandise).
  • Certains utilisent le logiciel libre pour des raisons techniques sans aucune sensibilité citoyenne, telle que préconisée par Stallman.
  • D'autres partisan de la culture Libre trouvent la démarche de la FSF peu adaptée face au modèle dominant qui impose la propriété intellectuelle. Ils préconisent une politique des petits pas. Impossible pour eux d'imposer aux autress un modèle aussi radical. Ils préconisent plus de pragmatisme : la meilleure manière de faire avancer le libre, c'est de le dépolitiser, de ne pas imposer un choix de société, mais de mettre en avant les nombreux avantages techniques.

Dans ce choc d'attitude, Stallman reste ferme. Le terme Open Source fait alors son apparition à la fin des années 90. En 1998, l'organisation Open Source Initiative naît d'une scission de la communauté du logiciel libre afin de conduire une politique jugée plus adaptée aux réalités économiques et techniques. Comme la FSF, le mouvement open source défend la liberté d'accéder aux sources des programmes qu'ils utilisent, afin d'aboutir à une économie du logiciel dépendant de la seule vente de prestations et non plus de celle de licences d'utilisation. Mais l'Open Source s'affranchit volontiers de toute considération philosophique et politique. C'est ici que se situe la distinction fondamentale entre ces deux courants. Les uns se réclament d'un choix citoyen et d'une vision de société (le tenant du libre), les autres se réclament d'une utilité technique : la mise à disposition de l'information améliore la qualité du produit et sa commercialisation. l'Open source effraie moins le client, les entreprises ne font pas de politique.

Une limite qui reste floue

La distinction entre l'Open et le Libre n'est pas aisée à saisir. Certains utilisent les pratiques Open avec beaucoup d'éthique, d'autres utilisent le terme Libre sans conscience des implications, ou pour surfer sur un phénomène de mode de langage.

Les partisans du Libre accusent l’open source d'être mû par la dynamique financière de multinationales. Ils soulèvent une question de fond. Un exemple : Google, tout en fonctionnant avec des logiciels Open, avec la mention de la Free Software Fundation, privatise les données des utilisateurs pour les revendre à des annonceurs. Ces données atterrissent dans une boîte noire, un environnement numérique fermé, où règne à nouveau la culture de l'exclusivité et du secret. Qui a déjà eu accès à ses données personnelles collectées par Google, qui a déjà pu rencontrer à son double numérique? Cette interrogation s’adresse aussi aux solutions Cloud (nuage) ou Saas (software as a service): les services en ligne fonctionnent de plus en plus avec des pratiques et outils Open, mais ils représentent aussi le risque de voir nos données personnelles utilisées à des fins que nous ne cautionnons pas. Au niveau individuel, les conséquences ne semblent pas très importantes, mais à l'échelon collectif, les enjeux sont majeurs.

Dans cette confusion des termes, voici, selon nous, ce qu'il faut (schématiquement) retenir :

  • Une licence dite libre sera toujours compatible avec des pratiques Open car elle inclut nécessairement les quatre libertés fondamentales. Par ailleurs, elle apporte des garanties aux préoccupations citoyennes.
  • Une licence Open ne sera pas forcément compatible avec les pratiques du libre car il y a souvent blocage sur la possibilité de copier et redistribuer (entorses aux quatre libertés fondamentales). Elle permet de concilier les nouvelles possibilités techniques avec des impératifs économiques liés au monde de l'entreprise actuel.

En pratique, la plupart des licences de l’open source satisfont aux critères du libre selon la Free Software Foundation, les différentes subtilités qui les distinguent étant principalement d’ordre philosophique et commercial. Mais seules certaines licences dont la GNU GPL (du projet GNU de Richard Stallman) offrent ce qui est appelé le copyleft en garantissant le partage de l'ensemble du code source. Ces licences permettent ainsi de protéger les libertés des utilisateurs, le code restera à jamais libre en annulant la possibilité de le breveter. Elles sont les seules à certifier une redistribution à 100 % du code d'un programme (ou d'une information) éternellement, ce qui favorise une coopération parfaite et pérenne au sein de la communauté des utilisateurs.

Des licences à géométrie variable (encadré)

Dans le domaine logiciel, l'Open Source utilise aussi les quatre libertés, mais se focalise sur l'intérêt technique et commercial du partage, en ignorant ou minimisant la question de la transparence, de l'accès. C'est ainsi que de nombreuses compagnies, dont Google et IBM, utilisent les termes Linux et non pas GNU/Linux, et le terme Open Source et non pas Libre, car ils mélangent des morceaux de logiciels libres avec des parties dont ils vendent l'exclusivité, comme par exemple Google play qui vend des applications payantes et GoogleAdd qui vend des espaces publicitaires exclusifs, sans bien sûr donner le code qui permet de gérer le moteur de recherche de Google.

Dans le domaine non-logiciel, le terme de l'open source est souvent accompagné de la mention "some rights reserved" (quelques droits réservés), ce qui signifie que certaines des quatre libertés sont actives, d'autres pas. Sur le site creativecommons.org[3], on peut voir quelles sont les licences libre (au sens des 4 libertés fondamentales) et celles qui ne le sont pas.

Quand Open et Libre se rejoignent

Open et Libre peuvent constituer une double porte d'entrée à l'émergence d'une société plus transparente, plus citoyenne. Si le libre impose d'emblée une vision engagée, l'Open peut aussi arriver au même résultat par sa vision plus pragmatique. L'approche du Libre peut être vue comme "top down" : la vision prime sur le réel, les idées président aux actes. Les garde-fous idéologiques sont posés en premier. L'approche Open Source peut être qualifiée de "bottom up" : elle part de constats techniques sur le terrain et développe des modes de fonctionnement collaboratifs qui crée une spirale vertueuse où est associé l'humain : meilleur qualité du produit, coopération entre collaborateurs, entraide au sein d'une communauté, etc.

Par sa neutralité, l'Open peut-être un formidable outil de gestion entrepreneuriale comme... de gestion politique. Un exemple : le mouvement Open data (données ouvertes) qui milite pour une transparence des informations s'attaque aux données publiques. Pour faire passer ses revendications, cette démarche citoyenne (qui n'évoque pourtant pas le Libre) peut s'appuyer sur le grand argument en faveur de l'Open : c'est bon pour la qualité du service. Les fonctions et pratiques de l'Open, lorsqu'elles sont utilisées avec une intention citoyenne, rejoignent aisément le objectif du Libre. D'où l'inconfort des politiques qui voient d'un œil méfiant cette demande émergente en faveur d'une "libération" des données... dites publiques.

Salutation à Francis Muguet (encadré)

Chercheur français, Francis Muguet a mené la délégation des promoteurs du libre au sommet de l'ONU sur la société de l'information. En 2001, puis 2003, il a réussi un tour de force politique aux côtés de Richard Stallman, fondateur du mouvement du logiciel libre, au service du bien commun et de l'éthique numérique. Les gouvernements ont signé une déclaration finale en faveur de la culture du Free/Libre, et non pas de l'Open/Ouvert.

C'est la reconnaissance de millions d'heures de débats dans les forums sur l'Internet depuis le milieu des années 1990 sur les enjeux de société qui se cachent derrière ces deux termes. Depuis, on peut dire que libre est le terme officiel des citoyens du Net et des gouvernements démocratiques. Dans la pratique, Open Source est plus usité, car les journalistes, faiseurs d'opinions, n'ont que trop rarement saisi les enjeux qui se cachent derrière ces termes. Membre du conseil scientifique d'Ynternet.org, Francis Muguet passait parfois dans les bureaux où ces lignes furent écrites. Il s'est éteint en septembre 2010. Ce paragraphe lui rend hommage.

Notes et références

  1. Source Histoire du logiciel libre sur Wikipédia.
  2. Robert Sproull aurait refusé de lui fournir le code source en raison d'un contrat de non divulgation que Xerox avait passé avec lui, pratique encore peu courante à l'époque.
  3. [http://creativecommons.org/choose/ www.creativecommons.org/choose