Les blogueurs et autres consomm'acteurs
communication, contribution, acteur, consommateur
L'homme n'est pas né avec Internet. Bien avant la création du réseau, il communiquait déjà avec ses semblables, de manière orale et en face à face. Ensuite il a créé le livre, la presse, le téléphone, la radio, la télévision. Mais dans le monde qui était alors le sien, les informations étaient rares, contrôlées par des minorités. Le citoyen lambda pouvait certes, à l'occasion, donner son avis sur la marche du monde, lorsqu'une « enquête d'opinion » ou un sondage entreprenait de le consulter — trop rarement cependant, pour le responsabiliser et l'impliquer autant qu'il aurait pu le souhaiter.
Sommaire
Le numérique a tout bouleversé
Souvenez-vous de votre première vision du Web. Vous avez lu des pages d'informations, comme on lit un livre. Vous avez traité des messages, comme on traite un courrier postal. Et peu à peu, vous avez compris que vous n'aviez pas affaire à un moyen de communication tout à fait comme les autres. De simple utilisateur d’un bureau de poste ou d'une vitrine de magasin virtuel, vous vous êtes senti devenir progressivement acteur.
Vous avez commencé à intervenir dans des forums :
- à commenter des articles ;
- à évaluer des produits ;
- à définir les préférences de votre profil utilisateur au sein d'une communauté virtuelle ;
- à inviter tous vos amis sur un réseau social ;
- à poster des annonces ;
- à proposer à la vente vos biens ou vos services ;
- à modifier une page créée par un autre internaute, par exemple sur Wikipédia ;
- et à voir vos contributions affichées en temps réel sur une succession de sites-relais.
Le mot de passe pour entrer dans ce nouveau monde, c'est la contribution. En contribuant, vous avez pu découvrir des options sociotechniques réservées aux utilisateurs enregistrés : paramétrer le flux d'informations, poster, modifier, catégoriser/tagger, relayer, modérer… C'est ainsi que les simples spectateurs ont pu devenir les acteurs de cette nouvelle société de l'information. C'est dans la même perspective de consomm'action qu'ont été imaginés les wikis, puis les blogs, les réseaux sociaux, les microblogs... Toutes ces applications qui constituent ce que l'on appelle aujourd'hui les médias sociaux.
Ces médias sociaux ont des règles et des usages communs, notamment :
- l'authentification ;
- la personnalisation ;
- la participation ;
- l'interaction ;
- la confrontation ;
- la modération ;
- l'autorégulation ;
- la combinaison.
Leur utilisation est instantanée, ouverte à la simultanéité, affranchie de toute autorité centrale et peu coûteuse. Le pouvoir citoyen est soudain à portée de quelques clics. Une fois connecté au réseau des réseaux, il est possible de créer son propre journal, de maintenir son public en haleine au gré d'un fil de discussion, d'interagir dans l'espace et le temps avec l'ensemble de son carnet d’adresses, de contribuer à son rythme aux encyclopédies globales.
Cette nouvelle culture de la consomm'action se propage comme un aliment bénéfique, elle déferle comme une lame de fond. Et dans son élan, elle entraîne les anciens médias invités à s'adapter à cette nouvelle manière de communiquer, même si nombreux résistent en paniquant plutôt que de remettre en question leurs pratiques.
La participation aux médias sociaux est au cœur de la transformation de notre mode de fonctionnement et de pensée. Ce mode de production participatif optimise les compétences cognitives telles que la perception, le raisonnement, la conscience, le langage, l'intelligence et la transdisciplinarité. Il n'est pas question pour autant de faire preuve d'angélisme : de nouveaux risques sont apparus, des pièges inédits jusqu'alors ont émergé (surdoses, arnaques,...).
De fait, les médias sociaux magnifient la diversité culturelle, sans autre limite que notre conscience et notre esprit critique, avec ses forces et ses faiblesses. Ils représentent à la fois une nouvelle source d'informations et un espace d'expression libre par excellence, où se côtoient politiciens, artistes, commerçants… Toutes générations et origines confondues : la multiplicité des motivations à publier sur le Web explique le nombre des publications qui y fourmillent.
Au sein de ces écosystèmes numériques, la force d'un projet ne procède plus de son concept originel mais de la quantité et de la qualité des acteurs concernés et de leurs contributions.
Ainsi, un étudiant nourri par cette culture de consomm'action, exercé à chatter avec ses camarades, à commenter les résultats sportifs sur un forum dédié ou à corriger telle ou telle imprécision sur une page Wikipédia, supportera de plus en plus difficilement de devoir rester assis dans une salle de cours à suivre un programme prédéfini : impossible pour lui de picorer ça et là comme il en a l'habitude et de faire la démonstration de sa force de contributeur.
Inversement, quelqu'un qui n'aura appris à réfléchir et à disserter que sur les bancs de l'école se trouvera aussi déconcerté face à une page Wikipédia, effrayé par les barrières psychologiques et neurolinguistiques du moindre chat virtuel : quand on a été programmé pour recevoir un cadre donné établi par d'autres, l'idée qu'on peut désormais le co-créer soi-même ne semble pas évidente.
Pour désigner ceux, de plus en plus nombreux, qui aspirent à voir leurs nouvelles connaissances légitimées, certains parle de prosommacteurs (Toffler, puis Tapscott), d'autres de nétocrates (Wired, Bard & Söderqvist) ou encore d'utilis'acteurs (Rousseau & Bondolfi) ou webacteurs (Pisani). Chacun de ces termes indique clairement que les médias numériques ne se contentent pas de s'adresser à l'ensemble de la société : ils sont sa création, son œuvre.
Le symbole du web 2.0
La transition technologique d'un web statique, alias web 1 vers un web dynamique - web 2 - s'est produite dans le tournant des années 2000. Pour symboliser la maturité naissante de cette culture web participative, Tim O'Reilly, auteur d'ouvrages consacrés à la culture informatique libre, a été le premier en 2005 à diffuser l'expression « web 2.0 ». Elle a été progressivement déclinée dans tous les domaines et désigne aujourd'hui le changement culturel qu'un internet dynamique et participatif est à même d'apporter aux sociétés humaines : la gouvernance 2.0.
Leaders dans le domaine | Durée de vie de l'information (tendance générale) | Effets pervers* | Effets positifs* | Spécificités | |
---|---|---|---|---|---|
Les wikis | Wikimedia et son projet phare Wikipédia | Moyen, long terme avec de nombreuses possibilités de modifications comme la mise à jour, le retour à une version précédente… | Guerre de clochers | Culture de la coopération synergique où l'on s'entraide main dans la main | Patrimoine de l'humanité, 100 % licence libre, simple et fiable |
Les « weblogs » ou « blogs » | Aucun leader, nombreuses plates-formes | Court, moyen terme | Faible qualité des contenus | Encourage l'interaction libre par le biais de commentaires | Journal de bord avec articles chronologiques |
Les réseaux sociaux | Court, moyen terme | Société de spectacle | La distance n'est plus un problème | Parc public, marché de l'amitié, dès 13 ans | |
Les « Instant » ou « micro-blogs » | Très court terme | Dictature de l'immédiat | Outils « d'avis à la populace » | 144 caractères, style SMS, roi du mobile, alerte immédiate |
Le siècle de l'inform'action
En 2011, le web a eu 20 ans. Fort de ses centaines de millions de forums, wikis, blogs, réseaux sociaux, microblogs instantanés, il justifie qu'on parle désormais de webosphère. Google, Facebook, Twitter et Wikipédia en sont les planètes les plus célèbres en 2013. Peuplé de centaines de milliards d'articles et de billions de champs différents (titres, corps de message, pièces jointes, images, nombre de visiteurs, notes…), le web est le cœur d'Internet où convergent tous les outils numériques qui possèdent une interface ouverte, standardisée en libre accès et accessible par l'ensemble des outils électroniques existants — smartphones, tablettes, ordinateurs, consoles de jeux...
Les sites les plus intéressants sont ceux où il est possible d'interagir en commentant, modifiant, ajoutant textes ou images à la matière présente. Un site d'achat/vente entre particuliers qui ne proposerait pas de commentaires participatifs évaluant le produit, le vendeur, voire l'acheteur, aurait du mal à asseoir sa crédibilité. Il en irait de même d'un blog indépendant qui publierait un scoop sans s'ouvrir aux commentaires et aux sources alternatives.
Par ailleurs, si la prédominance des médias sociaux semble désormais incontestable, la qualité de leurs contenus n'est pas encore systématique, loin s'en faut. Les fôtes d'ortograffe et une syntaxe maladroite sont fréquentes, issues le plus souvent du langage SMS : C koi ton pb ?. Ces adaptations culturelles pourraient conduire les migrants du numérique à rejeter en bloc les nouveaux médias, en vertu de leur manque de rigueur et de professionnalisme qui sen dégage de première vue. Mais il y a là également matière à reconnaître l’effacement progressif des barrières entre le métier de journaliste et la fonction de communicateur. A la clé, l'éveil possible d'une citoyenneté vraiment active, source de créativité et d'innovation.
Le débat est on ne peut plus actuel. Il engage notamment la corporation journalistique, détentrice du quatrième pouvoir. Elle admet difficilement que les médias sociaux sont des médias à part entière et seront, peut-être demain, les médias de référence. Il est permis de se demander si, parmi les journalistes, ceux qui ne reconnaissent pas les blogueurs comme leurs pairs, ne tendent pas à reproduire le modèle de toutes les corporations dépassées par les ruptures technologiques. Ainsi la corporation des chauffeurs automobiles, au début du XXe siècle, ne comprenait-elle pas qu'un simple quidam puisse aspirer à prendre lui-même le volant de sa voiture pour se rendre au travail...
Parmi les effets pervers propres au développement des médias sociaux, la dictature de l'immédiat, la société de spectacle et la guerre de clochers sont le plus souvent mises en avant. Autant de pièges à éviter sur le chemin de la consomm'action. Déclencheur de passions, le web 2.0 n'en finit pas de susciter fascination et répulsion.
Discernement, engagement, accompagnement
Réflexion et débat valent mieux que méfiance et repli. Il y a des gardes-fous à mettre en place. Et il est en effet plus que jamais nécessaire d'exercer son discernement entre les différents médias sociaux, à l'utilité variable de l'un à l'autre. Les intentions de géants tels que Facebook ou Twitter sont ainsi très discutables.
Pour (re)trouver confiance dans ce web 2.0, le meilleur moyen est encore d'en devenir un acteur à part entière : les pionniers bienveillants sont légion, disponibles pour aider à cette transition fondamentale aux multiples facettes. Au-delà de leur statut influent sur le web, ils ne demandent qu'à encourager leurs étudiants, leurs collaborateurs, leurs pairs, à devenir des consomm'acteurs conscients, critiques, rigoureux, sensibles à l'origine de leurs sources, capables d'apprendre à jongler élégamment avec les risques et les opportunités rencontrés sur le web, à faire des choix pour bien pratiquer cette société de l'information numérique.
En les accompagnant dans leurs premières contributions, ces « maîtres-passeurs » participent favorablement au développement personnel, social et professionnel de ceux qui s'y intéressent.
Les 100 000 contributeurs actifs de Wikipédia, dont une majorité de moins de 23 ans, attendent eux aussi à bras ouverts les nouveaux venus. Grâce aux modérateurs de blogs, aux créateurs de platesformes sociales éthiques, aux guides discrets et bienveillants qui aident à éviter les nouveaux pièges, l'espèce qui naît sous nos yeux ne manque pas d'accoucheurs de talents.
Deux mantras de la culture web
Publier tôt, mettre à jour souvent. Il encourage à passer de l'idée qu'on doit attendre qu'une œuvre soit mûre pour la publier, à l'idée qu'il est mieux de publier l'intention, de mentionner le degré de maturité d'une œuvre et ainsi à obtenir des contributions dès le début. Briller ou disparaître[2]. Il encourage à toujours contribuer, ne pas perdre son engagement, ou accepter de perdre son statut de leader d'un projet. |
Quizz : Comment publier un document sur le Web ?
Dans le cadre d'une formation, des camarades et moi-même avons produit en groupe un document d'une centaine de pages. Sachant que l'intérêt de ce travail dépasse le cadre où il a été produit, mes collègues et moi-même souhaitons le publier sur Internet pour toucher un large public. Quelles stratégies sont adéquates ? (Plusieurs bonnes réponses) :
- L'envoyer en format .doc ou .docx par courriel en pièce jointe, à toutes les personnes que l'on connaît, en leur demandant de l'envoyer à leurs amis ;
- mettre le document à disposition sur mon site Web, en format texte, RTF, HTML et/ou PDF ;
- plutôt que de le publier sur Internet, chercher un éditeur pour une publication papier ;
- ça ne sert à rien car personne ne le lira, donc j'interdis à mes camarades de le publier sur Internet ;
- chercher un site spécialisé qui pourrait trouver un intérêt à mettre à disposition notre document, afin de profiter de leur public existant ;
- publier le document sur un moteur de recherche populaire afin que le plus grand nombre puisse le trouver.
Notes et références
- ↑ Extrait d’un diaporama réalisé par David Fayon Les Réseaux sociaux au coeur du Web 2.0 et du Web de demain. Avec l’aimable autorisation de l’auteur. Copyright David Fayon. Licence CC-BY-SA [1]
- ↑ Les passeurs et leur vision de la société de connaissance (page 17) par l'Observatoire du Management Alternatif, HEC, Paris [2].
Wikinomics : Wikipédia, Linux, YouTube... Comment l'intelligence collaborative bouleverse l'économie, Don Tapscott, Anthony D.Williams, Éditions Pearson Education France (2007)[3]
Social Media Revolution 3 (4:15 version via Erik Qualman)
Social Media Revolution 2 (sous-titrée français)
Réponse du quizz
Les bonnes réponses sont la 2 et la 5.