Vers une économie moins exclusive
communauté, business model, partage, liberté, économie sociale et solidaire.
L'adoption proposée des libertés fondamentales a des applications diverses. Par exemple, la mise à disposition des codes génétiques de plantes traditionnelles ou alors l'accessibilité à des recettes médicales utiles pour combattre des maladies largement répandues. Une fois « libérées », ces recettes deviennent patrimoine de l'humanité. C'est l'essence même du combat pour éviter la marchandisation de la nature, pour adopter une économie dite sociale et solidaire, au service de l'homme.
Face à cette évolution, les détenteurs de brevets sur le vivant avancent l’argument des sommes considérables qu’ils ont investies dans la recherche. Les artistes invoquent la nécessité de toucher des redevances pour couvrir leurs frais ou simplement reconnaître leurs talents.
Mais maintenant, il existe une solution alternative pour prévenir ces contradictions : commencer à partager dès le début, avant d'investir trop de temps ou d'argent dans un projet. C'est une nouvelle culture à adopter.
C'est ce qui se passe sur Wikipédia, un des grands symboles de la culture Libre. Et cela se passe aussi au sein de milliers de communautés en ligne qui partagent des recettes sur les semences et les plantes médicinales, la création de musiques électroniques ou les plans architecturaux de maisons écologiques.
Nous voilà au cœur de l'enjeu de la société de l'information : les comportements individuels et collectifs, du fait des propriétés du numérique, tendent vers l'adoption généralisée des principes de fonctionnement du Libre. C'est déjà le cas avec l'encyclopédie Wikipédia (5e site le plus visité au monde en 2011), avec GNU/Linux (logiciel qui tourne sur la majorité des serveurs web sur Terre), avec Firefox (navigateur web utilisé par environ 30 % des internautes mondiaux), etc. Cette évolution est donc déjà effective. Cela matérialise petit à petit une nouvelle économie, basée sur des principes bien différents des précédents, avant l'arrivée du numérique.
Pour conclure sur la définition du mot « libre », notons une convergence entre les principes véhiculés par la notion Libre dans le domaine immatériel et ceux véhiculés par la notion de durable dans le domaine matériel. Considérant que ces domaines libres sont un terreau fertile pour de nouveaux modèles économiques, des visionnaires contribuent à identifier et promouvoir de nouveaux modes de production et de diffusion des créations. Cette vision est notamment à l'œuvre dans l'économie sociale et solidaire.
Voici une synthèse de l'impact du numérique sur le monde du travail :
Entreprise 1.0 | Entreprise 2.0 | Entreprise 3.0 |
---|---|---|
Organisation hiérarchique | Organisation horizontale (mode projet) | Organisation horizontale et élargie avec crowdsourcing |
Cloisonnement | Participation | Participation avec développement de toutes les formes possibles de télétravail |
Procédures complexes et rigidité | Procédures simples et flexibilité | Procédures simples et intelligemment améliorables et flexibilité |
Relation hiérarchique | Relation entre tous | Relation entre tous et à tout moment grâce aux outils nomades connectés |
Information gardée | Information partagée | Information partagée et qualifiée selon sa signification (web sémantique) |
Outils du web 1.0 : mél, site institutionnel, etc. | Outils de type réseaux sociaux d’entreprise | Réseaux sociaux d’entreprise + univers virtuels 3D |
Formations classiques en présentiel | E-learning | E-learning à la demande sur des points précis grâce à la qualification des données |
Partage versus exclusivité
Le schéma suivant décrit les deux tendances : celle du partage et de l'ouverture d'une part, de l'autre celle de l'exclusivité et du cloisonnement. Dans les faits, la frontière qui les sépare est floue, car nous sommes en phase de transition globale. Le modèle du Libre est déjà largement défini et documenté, mais il reste compris uniquement par une minorité. Cependant, une fois qu'il est intégré ou expérimenté, rares sont les utilisateurs qui reviennent en arrière.
Etape de vie d'une information | Modèle de gestion à tendance exclusive | Modèle de gestion à tendance de partage |
---|---|---|
Ce qui conditionne le tout: la conception et le développement de l’œuvre | Dopage, spéculation, grands espoirs, secret de fabrication, compétition. | Développement organique, petit à petit, modeste (« dans son garage »), ouvert, coopératif. |
Une fois mon œuvre créée, quel mode de gestion et quelle licence seront les plus efficaces ? | Contrôle basé sur l’exclusivité, création d’une pénurie artificielle, cession des droits des auteurs à des promoteurs/éditeurs. | Confiance basée sur quatre libertés fondamentales, reconnaissance des auteurs à chaque étape de contribution, toutes les évolutions sont possibles. |
Quel mode de diffusion de l’œuvre ? | Concurrence, bénéfice à court terme, vente du droit d’usage d’un produit | Coopération et compétition constructive (alias coopétition), vente du service autour d’un produit (conseil, formation, adaptations sur-mesure, veille) |
Quel impact social, culturel et économique global dans la société de l'information? | Dynamique de : - hiérarchie de statut ; |
Dynamique de : - hiérarchie de compétences ; |
Crise de remise en question, alias CREQ
Commencer à pratiquer les modèles socio-économiques du Libre, c'est souvent les adopter. Mais pour y parvenir, il faut faire un gros effort. Au début, non seulement on ne comprend pas bien, mais il n'est pas étonnant que l'on ressente de la répulsion face à ces nouvelles dynamiques. Il faut en effet à cette occasion, remettre en question la vision qu'on avait de la propriété des idées, du mode de développement d'un produit ou d'un projet et de la manière d'échanger avec ses semblables. L'écrivain Bernard Werber [1] décrit ainsi cette profonde crise de remise en question, alias CREQ : « L’homme est en permanence conditionné par les autres. Tant qu’il se croit heureux, il ne remet pas en cause ces conditionnements. Il trouve normal qu’enfant on le force à manger des aliments qu’il déteste, c’est sa famille. Il trouve normal que son chef l’humilie, c’est son travail. Il trouve normal que sa femme lui manque de respect, c’est son épouse (ou vice-versa). Il trouve normal que le gouvernement lui réduise progressivement son pouvoir d’achat, c’est celui pour lequel il a voté. Non seulement il ne s’aperçoit pas qu’on l’étouffe, mais encore il revendique son travail, sa famille, son système politique et la plupart de ses prisons comme une forme d’expression de sa personnalité. Beaucoup réclament leur statut d’esclave et sont prêts à se battre bec et ongles pour qu’on ne leur enlève pas leurs chaînes. Pour les réveiller il faut des CREQ, « Crises de Remise En Question ». Les CREQ peuvent prendre plusieurs formes : accidents, maladies, rupture familiale ou professionnelle. Elles terrifient le sujet sur le coup, mais au moins elles le déconditionnent quelques instants. Après une CREQ, très vite l’homme part à la recherche d’une autre prison pour remplacer celle qui vient de se briser. Le divorcé veut immédiatement se remarier. Le licencié accepte un travail plus pénible… Mais entre l’instant où survient la CREQ et l’instant où le sujet se restabilise dans une autre prison, surviennent quelques moments de lucidité où il entrevoit ce que peut être la vraie liberté. Cela lui fait d’ailleurs très peur. » C'est pour cette raison que la transition d'un modèle d'exclusivité à un modèle de partage s'effectue par à-coups, par sauts de puce, comme autant de petites secousses, selon le principe deux pas en arrière (stress, peur), trois pas en avant (remise en question, ouverture). Le mouvement « Open Source », par son approche pragmatique et économique, c'est à dire moins idéaliste ou politique que le mouvement Libre, semble jouer un rôle de facilitateur de cette transition. |