Big Brother contre les netizens
Notions-clés: propagande, police de la pensée,numérisation du monde,fichage,double numérique,contrôle,liberté d'expression,servitude volontaire,télé-réalité,base de données,données personnelles,espionnage ,netizen citoyenneté,journalisme.
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En 1949, George Orwell publie un roman d'anticipation, 19841, dans lequel il décrit une société future dirigée par une dictature molle, qui utilise une myriade de moyens technologiques pour contrôler la population. L'histoire se déroule en 1984, comme l'indique le titre de l'œuvre : dans cette société imaginée, la technologie – omniprésence des écrans, fichage généralisé – fait figure de religion moderne.
Des caméras surveillent en permanence la population et il existe même une police de la pensée. Sur les murs, des affiches représentant le visage d'un homme, accompagné du slogan « Big Brother is watching you », rappelant aux habitants que partout, à tout moment, ils sont surveillés.
Contrôle des actions, de la pensée : la méthode Big Brother prévoit également l'introduction forcée d'une nouvelle langue, dans laquelle ont disparu les mots permettant d'exprimer contestations, interrogations ou réflexions personnelles, de façon à anéantir tout libre arbitre et tout esprit critique parmi la population. Après le succès du roman, la figure de Big Brother devient au fil du temps l'allégorie d'une certaine forme de pouvoir totalitaire sournois.
Bien qu'élaborée au tournant des années 50, la science-fiction d'Orwell semble rejoindre aujourd'hui certaines peurs suscitées par la numérisation du monde. Or, elle repose sur une conception de la technologie étroite et limitée : elle présente un système fermé, au contraire des concepts qui ont réellement inspiré internet au cours de ces mêmes années 50, telles l'écologie spirituelle, la noosphère ou encore la neutralité des réseaux.
Big Brother, entre amour et haine
L'expression Big Brother a ainsi été largement reprise pour décrire la surveillance constante exercée par un pouvoir despotique sur sa population. Elle s'applique plus particulièrement au contrôle par les nouvelles technologies, et notamment d'internet, alors considéré comme l'outil le plus efficace en la matière. Une prise de conscience responsable de ces risques et une utilisation critique d'internet permettent toutefois de créer des espaces sociaux démocratiques, de contourner les contrôles ou encore d'élargir le champ de la liberté d’expression et des technologies qui l'appuient.
Ce grand frère qui veille et nous surveille est incarné par une technologie moderne : caméras de vidéo-surveillance, puces informatiques, fichiers policiers informatisés... Pour ceux qu'il inquiète, l'usage de ces technologies sert une minorité de gens au pouvoir et dessert la majorité dominée. L'informatique et l'ordinateur sont perçus comme autant de moyens d'asservissement et de manipulation des masses. De fait, cette forme de contrôle des individus, si redoutée, prend avec internet une nouvelle ampleur. Le réseau favorise en effet l'accès à des bases de données centralisées, à l'échelle de la planète, et non plus seulement d'une région ou d'un groupe particuliers. D'où la mise en garde fréquemment entendue : toute activité sur internet est répertoriée et peut dès lors être suivie et analysée à l'insu et contre l'intérêt de l'internaute.
Google et Facebook sont aujourd'hui emblématiques de ce système orwellien, de même que les bases de données clients SAP ou ORACLE1 pour ne citer qu'elles. À chacun de ses mouvements sur la toile, l'internaute livre en effet des clés de sa vie privée, professionnelle, sociale à des observateurs aussi discrets qu'intéressés.
C'est pourquoi une prise de conscience raisonnée des risques associés à un usage imprudent d'internet est absolument indispensable : chacun d'entre nous devrait pouvoir choisir en toute connaissance de cause à qui il souhaite transmettre ses données. Google ou Facebook peuvent certes être considérés comme des outils de contrôle, mais personne n'est forcé de les utiliser.
« Big Brother est-il tapi au fond de votre ordinateur ? », titre Le Monde2 à l'occasion d'une interview avec journaliste français Jacques Henno. Dans son livre paru en 2005, Tous fichés ou l'incroyable projet américain pour déjouer les attentats terroristes, il décrit le programme de Surveillance Totale, imaginé après le 11 septembre 2001 par les services de renseignements américains : il s'agit d'accumuler des informations sur le maximum d'habitants de la planète... Un fichage généralisé.
Il n'est pas exclu que l'éveil des consciences, comme dans bien d'autres domaines (sanitaire, nucléaire, etc.), passe par le scandale ou la catastrophe : une grave crise liée à la gestion abusive de données privées mettrait par exemple en lumière les dérives de ce type de centralisation et les nouvelles menaces pesant sur les libertés individuelles.
« Don hate the media, become the media! »
Les médias actuels peuvent être perçus comme liberticides. On peut leur reprocher de nous embrigader, de nous proposer une vision erronée du monde, de faire diversion plutôt que de nous informer. Mais on peut aussi les considérer comme un moyen de mettre en valeur la diversité des idées, des pratiques et des regards sur le monde. Jello Biafra, musicien et activiste de la culture punk américaine, est l'un des grands défenseurs de cette idée. Lors d'une conférence consacrée aux enjeux des médias, à la question : « Faut-il se méfier des médias ? Ne faudrait-il pas les rejeter comme dans 1984 ? », il répondit : « Don't hate the media, become the media ! » (Ne hais pas le média, sois le média !).
La prudence est une vertu applicable à tous les médias, y compris à internet : il ne suffit pas d'analyser les informations entrantes, il convient également de tenter de maîtriser les informations laissées par nos passages répétés sur la toile. C'est toute la question du double numérique, cet hologramme digital que composent progressivement les entreprises collectrices de nos données en échange souvent de la gratuité de leurs services.
Mais il ne faut pas jeter le bébé avec l'eau du bain. Tout média peut favoriser la concentration du pouvoir comme au contraire accélérer son partage. La prise de conscience des dangers permet donc à chaque utilisateur de devenir critique et prudent, passant ainsi d'une utilisation passive à une utilisation maîtrisée et active.
Il existe des systèmes équitables de diffusion de l'information et de la connaissance, différents moyens qui permettent d'échapper à une éventuelle surveillance : chacun, par exemple, est libre de créer son propre réseau social, de diffuser des vidéos, de lancer une webradio. Par nature, internet est un écosystème décentralisé, sans centre de contrôle. Difficile à contrôler donc. L'action citoyenne peut même s'en trouver amplifiée. Une nouvelle catégorie de citoyens est ainsi apparue : les citoyens du net ou netizens, qui s'approprient pleinement ce nouveau média, jusqu'à l'incarner.
L'informatique au service des netizens
L'esprit de citoyenneté numérique est propice à la gestion des réseaux associatifs. Certaines expériences concrètes ont déjà fait leurs preuves, telles que Wikipedia ou les serveurs Debian basés sur GNU/Linux. Ces expériences ne sont pas seulement techniques, elles sont basées sur la notion d'équité, chacun peut proposer des améliorations et sera jugé par ses pairs selon les principes de la non-discrimination radicale.
À tout utilisateur, les propriétés socio-techniques du numérique assurent une décentralisation de l'information et une liberté aussi préservée que possible : même en Chine, où la censure et le contrôle par les hackers rouges sont très stricts, le nombre d'activistes qui passent entre les mailles du filet dépasse de loin le nombre des internautes inquiétés.
Internet est un nouvel espace de partage, d'information, mais aussi d'action sociale et politique en connexion directe avec la société concrète, un nouvel espace dont nous sommes tous citoyens. Le combat de certains activistes d'internet pour le respect de la vie privée, pour les droits fondamentaux ou pour une information libre est riche de sens et chargé d’enjeux désormais universels.
Le programme Échelon
Échelon est le nom d'un programme international, lancé par les États-Unis, qui a pour objectif de capter et répertorier toutes les communications. C'est un système gigantesque, qui couvre tous les médias : téléphone, courriels, téléfax, etc. Les caméras de vidéo-surveillance dans la rue ou dans les parkings privés sont également concernées par cette grande captation, de même que les sites internet et les forums qui s'y déploient. Toutes les informations ainsi recueillies sont archivées et triées par mots-clés, définis par les services secrets des pays partenaires du programme (États-Unis, Australie, Canada, Nouvelle-Zélande, Royaume-Uni).
Quelques exemples de mots-clés :
noms de terroristes présumés, de narco-trafiquants, d'activistes politiques, de personnes influentes ;
complot ;
terrorisme ;
extra-terrestres ;
armes technologiques.
Développé à la fin de la première guerre mondiale, et surtout utilisé au cours de la guerre froide, le programme Échelon n'a cessé d'étendre son rayon d'action. Il restera secret pendant près de quarante ans, jusqu'à ce que les premières informations à son sujet filtrent dans les médias, à l'initiative de journalistes, de groupes activistes et de chercheurs. Échelon, dirigé par la NSA (National Security Agency), est accusé d'avoir espionné un très grand nombre de personnes privées : pacifistes, militants pour les droits civiques américains (dans les années 1960 et 1970), personnalités, etc. Il est également aujourd'hui soupçonné d'espionnage industriel. Le programme Échelon a fait couler beaucoup d'encre, mais il n'est pas le seul programme de surveillance en fonction : rien qu'aux États-Unis, on peut citer le logiciel Carnivore, mis en place par le FBI, le programme Einstein (1,2,3) développé par le gouvernement ou encore Tempest, un programme de surveillance des émanations électromagnétiques.
Big Brother Awards : le prix que personne ne souhaite recevoir
« Les agences gouvernementales et les entreprises privées violent de plus en plus la vie privée des gens, partout. D'énormes quantités de données personnelles sont collectées, stockées et traitées – souvent illégalement – dans le but de créer des techniques de marketing plus efficaces, d'arriver à un plus grand contrôle social et à des mécanismes plus puissants de contrôle des citoyens », met en garde Privacy International. Cette association lutte pour le respect de la vie privée. Elle a mis en place pour la première fois en 2000 la cérémonie des Big Brother Awards : les gagnants sont les gouvernements ou les entreprises qui ont le plus menacé le respect de la vie privée d'une population durant l'année. Le prix existe actuellement dans une quinzaine de pays, dont la Suisse. Ces dernières années en Suisse, le prix a été décerné aux entreprises Swisscom, Chrétienne Sociale Suisse ou encore Securitas, et au service de la police fédérale qui surveille les envois postaux, les lignes téléphoniques mais également les communications via ADSL. Un prix a même été décerné en 2009 à l'école professionnelle de Winterthur, qui avait lancé un appel à la dénonciation dans les environs de l'école afin de prendre sur le fait tous les élèves qui ne respecteraient pas le règlement scolaire.
Big Brother : l'aîné à qui l'on veut plaire
La déclinaison commerciale la plus célèbre de la figure de Big Brother revient à une émission de télévision du même nom, d'abord diffusée aux Pays-Bas. Pionnière dans la catégorie des reality show (télé-réalité), cette émission permettait d'observer jour et nuit un groupe de jeunes enfermés dans une maison. Chaque pièce y était équipée de nombreuses caméras : chaque mouvement et chaque conversation étaient donc enregistrés. D'heure en heure, le public pouvait suivre les moindres faits et gestes des jeunes gens ainsi confinés et décidait chaque semaine lequel d'entre eux devait quitter les lieux. À l'exception du vainqueur unique, tous les participants finissaient par rentrer chez eux avec pour seule consolation une gloire médiatique éphémère. Les uns et les autres avaient au préalable signé avec la production un contrat en vertu duquel ils renonçaient à leur libre arbitre. Servitude volontaire et société du spectacle : une combinaison inédite qui a révolutionné les comportements télévisuels et formidablement enrichi ses inventeurs.