L'économie du don

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Notions-clés: culture libre, copyright, copyleft, pirate,General Public License, Debian, culture du don, partage, mode d'emploi, société collaborative, licence libre, exclusivité, gratuit,libéral-communisme, techniques commerciales, troc, communauté, volontariat.

Profils-clés: General Public License (GPL), Debian, Toffler Heidi, Alvin Toffler, Google, Facebook, Gates Fondation, Barlow John, World Economic Forum (WEF), GNU/Linux, Firefox, LibreOffice, Wikipedia.


Économie du don, cela ressemble à un oxymore... Comment le don pourrait-il générer une économie, dans la mesure où il est par essence un acte gratuit ? C'est oublier que la notion de richesse est loin de se limiter à l'argent !

« Le développement générique de la richesse financière sur la planète et de ses abus ont conduit les décideurs à ne prendre en compte que la dimension économique de l’activité humaine et sa monétarisation, ce que l’Inde traditionnelle désigne comme le règne de la caste des commerçants. En ignorant les activités non monétaires, ils ont omis une part essentielle de la richesse produite par les êtres humains : les connaissances. Les activités qui ne se transforment pas en monnaies comptables sont multiples, créatrices, insaisissables et particulièrement révolutionnaires », nous disent Heidi et Alvin Toffler[1].

La richesse révolutionnaire[2], un des livres du couple Toffler et fruit de 20 ans de travail et de réflexion, a été analysé en 2008 par le chroniqueur Rémi Boyer[3]. en ces termes :

« Face à cette mutation, à ce saut sociétal, les gouvernements s’avèrent souvent peu aptes à évoluer intellectuellement et stratégiquement. L’actualité de la crise est une démonstration éclatante de leurs faiblesses. C’est donc du terrain, et notamment du terrain virtuel, grand agitateur d’intelligences et de connaissances, que peuvent apparaître de nouvelles lignes révolutionnaires au milieu des nouvelles tectoniques géopolitiques. Heidi et Alvin Toffler proposent le concept d’économie prosommatrice caractérisée par cette activité ni rémunérée ni quantifiée, non altruiste cependant, mais génératrice de tous les changements. La richesse révolutionnaire se traduit aujourd’hui par un magma peu lisible, envahissant, angoissant parfois, dans lequel les solutions pour une autre humanité qui « briserait le noyau de la pauvreté » ne sont qu’esquissées. Heidi et Alvin Toffler avertissent : « Ce qui a bien marché, ne marchera pas. » L’humanité qui vient, serait donc une humanité d’inventeurs, de poètes, et notamment de poètes technologiques, ou ne serait pas ? »


La valeur du bénévolat[modifier]

L'économie du don est documentée sur Wikipedia comme une activité économique générée par le bénévolat. En voici quelques extraits[4] :

« Le Réseau d'échanges réciproques de savoirs et le Système d'échanges locaux (SEL) s'inscrivent dans la culture du don et du contre-don. Ils ont donc à la fois un rôle de diffuseurs de biens ou de services économiques et d'agents de développement du lien social. »

« Une partie des militants des mouvements décroissants, alias décroissance soutenable, s'inscrit aussi dans un système d'échange fondé sur le don et non sur la valeur monétaire des biens. »

« Durant la crise économique de l'Argentine de 1988 à 2001, les cercles d'échanges (Système d'échanges locaux) se sont multipliés dans tout le pays pour faire face au chômage et permettre des échanges économiques sans monnaie. »

« Le détenteur d'un savoir ou d'une information ne la perd pas quand il la partage avec autrui (bien non-rival), et le coût de la transmission est bas, voire négligeable. Cela rend ce type de biens particulièrement apte aux dons. De plus, la valeur d'une information est difficile à estimer par autrui sans la lui donner, ce qui la rend peu apte au troc et aux échanges. »

« La recherche scientifique fonctionne comme une économie de don. Les scientifiques publient leurs recherches sans attendre explicitement d'autres résultats scientifiques en échange. Néanmoins cela augmente leur réputation ; utiliser les résultats publiés par un autre chercheur sans le citer, ou pire encore se les attribuer soi-même, (le privant ainsi de son bénéfice en terme de réputation) sont des comportements honnis. »

« La communauté du logiciel libre fonctionne sur un mode similaire. »

« Fonctionnent également de même les échanges, ou plutôt la mise à disposition de programmes informatiques, de vidéos, ou de morceaux de musique via internet (partage de fichiers en pair à pair) ou directement d'appareil à appareil entre amis, soulevant au passage une polémique sur le mépris à l'égard de la propriété intellectuelle lorsque le matériel échangé n'est pas libre de droits. »

« L'éthique médicale postule que le corps humain ne peut être une marchandise comme une autre. En Europe les banques du sang et autres banques d'organes humains fonctionnent grâce au don. Les donateurs ne reçoivent aucune garantie de réciprocité. Les paiements sont suspects, et même souvent interdits par la loi (mères porteuses). Le développement des recherches bio-médicales notamment sur les cellules souches pour le clonage peuvent mettre à mal ce postulat du don. »

Un air de déjà vu[modifier]

Un bref retour en arrière s'impose. Au début du XIXe siècle, quelques puissantes familles se partageaient les terres disponibles. La traite d'esclaves prospérait. Chacun acceptait cet état de fait, convaincu qu'il n'existait pas de système alternatif. Seule une minorité s'est élevée contre l'esclavage : composée de « pirates » et de citoyens militants, elle a rappelé que l'esclavage n'était pas une fatalité, qu'il était possible de faire autrement, de permettre à tous de bénéficier des mêmes chances. La Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789[5] avait certes déjà été promulguée en France, mais son application restait balbutiante. Aujourd'hui les ségrégations ont changé de terrain. L'époque, comme au temps des colonies, continue de mettre en scène esclaves, pirates et hommes libres.

Mais c'est désormais dans le domaine de la connaissance que les pouvoirs se font et se défont. Il ne s’agit plus de liberté matérielle (physique) mais de liberté de l’information, immatérielle.

Dans la société de l'information, selon l'ancien paradigme de l'économie de la rareté de l'information : on paie le droit d'usage de la nouvelle licence Windows pour son ordinateur, ou alors on le pirate. Idem pour les DVD. Ceux qui encouragent de façon délibérée ou involontaire la culture d'esclaves et de pirates, associent leur intérêt personnel au contrôle des flux d'informations. C'est pourquoi ils s'agrippent si farouchement aux rênes des nouveaux outils producteurs de connaissance, ils tentent de contrôler les médias.

Certains ont qualifié cette volonté de contrôle et d'exclusivité comme une nouvelle forme de « libéral-communisme », exercée par de grandes entreprises et leurs fondateurs tels Microsoft (Bill Gates), Apple (Steve Jobs), Oracle (Larry Ellison), Amazon, Google, Facebook... C'est là que sont concentrés les pôles de pouvoir de l'ère numérique.

Mais on peut dépasser cette dialectique. Toute œuvre fonctionnelle (mode d'emploi, documentation pédagogique, recette...) a tout intérêt tant éthiquement que commercialement, à être régie par une licence libre. L'auteur qui choisit de mettre son œuvre sous licence libre, avec toutes les phases de production et de distribution que cela implique, va casser le tandem esclave-pirate induit par l'exclusivité ; il va générer une vraie liberté de partager et adapter et ainsi impliquer une communauté à chaque étape de production et diffusion.

Commerce ou don de données ?[modifier]

Les géants du numérique tendent à étouffer leurs concurrents, à favoriser la surveillance de leurs utilisateurs et donc à œuvrer pour que le partage de l'information reste interdit. Demandez à Google ou à Facebook[6], qui fournissent leurs services « gratuitement » de vous procurer la liste de toutes les données recueillies à votre sujet : vos habitudes de consommation, vos mots-clés de recherches… On vous répondra en invoquant le secret professionnel.

C'est le principe des fiches secrètes qui ne servent que les intérêts de l'entreprise concernée. Dans un seul but : les revendre à d'autres entreprises dans le cadre de campagnes publicitaires ciblées, pour vous inciter à consommer toujours plus.

Ces techniques « commerciales » ont largement contribué à l'extraordinaire puissance des fondateurs de ces nouvelles oligarchies. Ce sont eux qui dirigent aujourd'hui l'économie et influencent certaines orientations politiques. Les mêmes multimilliardaires lancent aussi parfois des fondations caritatives dont le fonctionnement - dans le cas de celle de Bill & Melinda Gates, par exemple – révèle de surprenantes contradictions.

Selon une étude du Los Angeles Times[7], « 41 % des actifs (de la Fondation Gates, hors titres d'État américains ou étrangers) concernent des entreprises dont l'action contrarie ses objectifs philanthropiques ou ses préoccupations sociales. »

Mais dans cet univers numérique d'apparence impitoyable, certaines communautés résistent à la tendance dominante. Elles font ainsi écho à l'action émancipatrice des pionniers qui luttèrent contre l'esclavage et l'exploitation de la majorité par une minorité. Elles militent en faveur d'un monde numérisé globalisé et citoyen, sans pirate ni esclave. Elles s'appuient sur le principe d'équité des chances cher aux fondateurs du net et du web, au sein d'un cyberespace indépendant. La Déclaration universelle des droits de l'homme a trouvé dès 1996 son pendant avec la Déclaration d'indépendance du cyberespace de John Perry Barlow, prononcée devant les leaders mondiaux en séance plénière du Forum Économique Davos[8].

Ces communautés défendent l'idée d'un savoir partagé par tous. Elles considèrent qu’il est plus juste de générer des revenus grâce à la vente de services plutôt que par la création d’une pénurie pour garder l’exclusivité sur un produit. Face aux tendances privatrices, elles proposent une économie du partage dans tous les secteurs : encyclopédies, vente de livres, vente de produits, hébergement de profils et réseaux sociaux, moteurs de recherche, etc.

Les pratiques commerciales vicieuses commencent à être documentées : vente de temps de cerveaux disponible[9], services web gratuits dans lesquels nous devenons la marchandise[10]...

Les pratiques à long terme et les démarches responsables de gestion d’informations sont elles aussi maintenant bien documentées : adoption de licences libres, crowdsourcing, recrutement basé sur le mérite et autres fruits de la sagesse des foules... Cette documentation aide à mieux promouvoir l'équité et la justice sociale de la société de l'information.

La minorité active qui dénonce aujourd'hui la spirale négative des esclaves et pirates se réclame du bien commun pour encourager l'émergence de pratiques durables, honnêtes et loyales. À long terme, l'histoire et les propriétés du numérique[11] permettent d'imaginer qu'elles obtiendront probablement gain de cause.

La position de ceux qui se partagent actuellement le gâteau et jugent normales la privatisation et l'accumulation des richesses, est-elle durable dans une société numérisée où l'information est abondante et peut circuler à très faible coût ? Leur position dominante ne réside-t-elle pas désormais essentiellement dans leur pouvoir de persuasion et de compromis auprès d'investisseurs et actionnaires qui leur permettent d'obtenir les moyens de continuer à imposer leur pouvoir, là où ils l'exercent ?

Chaque année, ces adeptes de l'exclusivité perdent un peu plus de terrain au profit d'une culture participative fondée sur une meilleure répartition des responsabilités et des bénéfices. La culture du partage et du don, cette spirale positive, émerge lentement, difficilement, mais en profondeur. Elle ne peut se pratiquer qu'après avoir compris que partager la connaissance, c'est augmenter sa valeur, et non la réduire. Tout y est en libre accès, mais pas nécessairement gratuit. Divers modèles économiques cohabitent. Elle favorise les petits groupes et non plus les individus ou les conglomérats transnationaux, que l'on trouve dans les nouvelles forme de travail (à distance, en réseau), de production artistique (webséries, pré-financements par le public), par les encyclopédies libres, par la vente de service autour des produits (formation à l'usage, maintenance, mise à jour). Cette transition est difficile, car profonde. Et déjà les premiers signes d'adoption massive de cette économie du partage sont perceptibles. Au quotidien, cette culture du don nous aide à progresser, à développer plus d'autonomie et à mieux trouver notre place dans cette société de l'information hypercomplexe. Elle permet aussi de mieux décompresser, car elle diversifie les options de divertissement et d'outils de communication. Elle octroie une meilleure liberté de choix.

Notes et références[modifier]

  1. Alvin Toffler (New-York, 1928) est un célèbre futurologue.
  2. Revolutionary Wealth, Heidi et Alvin Toffler, Knopf, New York (2006). Traduction française : La richesse révolutionnaire, Plon, Paris (2007).
  3. Rémi Boyer est chroniqueur pour le site www.lafauteadiderot.net.
  4. Article « Économie du don », Wikipedia (consulté le 07.09.2014).
  5. Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 Wikipédia (consulté le 22.07.14).
  6. Audrey Oeillet, Demander à recevoir tout son historique de compte sur un CD, c'est possible !
  7. Charles Piller, Edmund Sanders et Robin Dixon, "Les étranges placements de la Fondation Gates", le Courrier international, 1er février 2007.]
  8. Voir l'article Déclaration d'indépendance du cyberespace, chapitre 3.« Vos industries de l'information toujours plus obsolètes voudraient se perpétuer en proposant des lois, en Amérique et ailleurs, qui prétendent définir des droits de propriété sur la parole elle-même dans le monde entier. Ces lois voudraient faire des idées un produit industriel quelconque, sans plus de noblesse qu'un morceau de fonte. Dans notre monde, tout ce que l'esprit humain est capable de créer peut être reproduit et diffusé à l'infini sans que cela ne coûte rien. La transmission globale de la pensée n'a plus besoin de vos usines pour s'accomplir. »Déclaration d'indépendance du cyberespace, John Barlow, discours prononcé le 8 février 1996 à Davos.
  9. Voir l'article Internet au-delà du petit écran, chapitre 1.
  10. Voir l'article Propriétaire, Libre et Open, chapitre 3.
  11. Voir l'article Les propriétés fondamentales du numérique, chapitre 1.