Wikinomie, la clé de la culture collaborative : Différence entre versions

De Wiki livre Netizenship
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Version du 21 juillet 2016 à 10:04

Notions-clés :wiki, wikinomie, partage, économie du don, société collaborative,taxinomie de la collaboration , rupture technologique, wikipedia, participation synergique, partage, culture du secret,transparence , globalisation, compétition, culture du « co », propriétés du numérique.

Profils-clés : GNU/Linux, Wikinomics, Tapscott Don, Williams Anthony D., GoldCorp Inc., Torvalds Linus, Wikipedia, Devouard Florence.


« Les profonds changements survenus dans les technologies, la démographie, l'entreprise, l'économie et le monde dans son ensemble, inaugure une ère nouvelle, marquée par la participation des individus jusque-là inconnue. Cette participation d'un type nouveau a atteint un seuil critique qui permet à des formes inédites de collaboration de masse, de redessiner les processus d'invention, de production, de marketing et de redistribution des biens et des services à l'échelle planétaire », écrivent les auteurs du best-seller Wikinomics[1].

En guise d'anecdote, Don Tapscott et Anthony D. Williams racontent notamment comment une petite entreprise d'extraction aurifère, GoldCorp Inc., a pu sauver son chiffre d'affaire par une écoute attentive des mutations en cours. Son PDG, Rob MacEwen, alors sous pression, explique à son conseil d'administration sa nouvelle stratégie. Il a eu la révélation quelque temps plus tôt.

En entendant parler du logiciel Linux lors d'une réunion pour jeunes dirigeants, il a découvert comment un certain Linus Torvald a révélé publiquement son code et permis à des milliers de programmateurs anonymes de le corriger et d'y apporter leur contribution personnelle par internet. Il a alors l'idée de rassembler et de mettre en ligne toutes les données géologiques de l'entreprise. Par le biais d'un concours, il lance un appel aux experts du monde entier. Le résultat est au-delà de ses espérances.

Rob MacEwen estime que la collaboration a permis d'économiser de deux à trois ans de prospection. GoldCorp récolte les fruits de sa méthode de prospection Open Source. Non seulement le concours a révélé la présence d'importants gisements d'or, mais il a aussi fait passé le chiffre d'affaires de 100 millions de dollars à 9 milliards de dollars!

Une histoire qui donne à réfléchir car elle fait voler en éclat une idée bien ancrée : Mieux vaut garder le secret. Eh bien, pas forcément ! Désormais, il y a la wikinomie. Dans ce nouveau paradigme : celui qui ne partage pas l'information peut s'avérer perdant ! Sa visibilité se dissout dans l'abondance des informations en libre circulation.

Dans ce nouveau paradigme : celui qui ne partage pas l'information peut s'avérer perdant ! Sa visibilité se dissout dans l'abondance des informations en libre circulation.

« Dans 20 ans, nous considérerons ce début du XXIe siècle comme un tournant de l'histoire économique et sociale. Nous comprendrons que nous sommes entrés dans une nouvelle ère qui a des principes, des conceptions du monde et des modèles d'affaires nouveaux, et dont les règles du jeu ont changé. »[2]

Bienvenue dans la wikinomie ! Cette « économie de la collaboration entre groupes humains » repose sur une collaboration sans frontières et un usage intensif des technologies numériques libres et Open Source, à commencer par les sites Wiki[3].

L'un des principaux avantages de la wikinomie est l'économie financière qu'elle permet de réaliser. Si GNU/Linux, un système d'exploitation informatique élaboré à partir d'une base coopérative et volontaire, devait être développé selon des méthodes traditionnelles, cela coûterait aujourd'hui plus de 10 milliards de dollars. Or il a pu être développé à moindre frais, grâce à la participation d'une communauté non seulement engagée, mais également compétente. Il est aujourd'hui de plus en plus utilisé, du contrôle aérien jusqu'aux systèmes téléphoniques en passant par les centrales nucléaires ou certains véhicules automobiles.

Ce nouveau modèle économique s'imposerait peu à peu sur le modèle traditionnel :

« Il a souvent été dit que pour innover, se distinguer et tenir son rang, l’entreprise doit mettre en œuvre les bonnes pratiques : disposer d'un capital humain de qualité, protéger bec et ongles sa propriété intellectuelle, privilégier le client, penser globalement mais agir localement et enfin savoir mener à bien ses projets (grâce à la qualité des contrôles et de la direction). Or, les mutations en cours rendent ces critères insuffisants et parfois complètement inadaptés », écrivent les auteurs de Wikinomics, s'appuyant sur les travaux de l'équipe de New Paradigme, société d'études spécialisée dans les nouvelles technologies qui a mené de nombreuses enquêtes multiclients pour comprendre comment le web change l'entreprise.

La wikinomie s'appuie sur quatre idées phares : ouverture, travail collaboratif, partage et action à l'échelle de la planète. « La nouvelle entreprise co-innove avec tout le monde (en particulier avec ses clients), partage les ressources qu'autrefois elle gardait jalousement, exploite la puissance de la collaboration de masse et ne se comporte pas comme une multinationale mais comme une entité véritablement planétaire. ».

Internet est un levier pour faire appel à des communautés : sagesse des foules, l'économie du don, la coopétition, ces notions sont des déclinaisons de la wikinomie. Il en sera question dans les articles suivants. Ce sont autant d'outils conceptuels qui peuvent s'articuler dans de nombreux domaines : social, éducation/université, recherche, et bien sûr économique.

Il y a bien un avant et un après la découverte d'internet. Cette rupture technologique[4], en permettant une réduction drastique des coûts de production et de distribution de l'information, bouleverse l'ordre économique qu'on croyait bien établi. Avant le numérique, on ne pouvait pas copier et distribuer sans engager d'importants investissements financiers. Les consommateurs ne pouvaient pas agir et influer sur l'innovation des produits mis à leur disposition. La protection des informations par la propriété intellectuelle, était facile à maintenir, et même légitime pour protéger un travail ou un investissement coûteux.

Si la donne est en train de changer, c'est du fait des propriétés des fonctions du numérique, que nous rappelons ici[5] :

  • instantanéité (transfert d'information quasi immédiat) ;
  • décentralisation (pas d'instance pivot) ;
  • multilatéralité (échanges de plusieurs à plusieurs) ;
  • persistance (l'information ne disparaît jamais) ;
  • asynchronicité (chacun agit à son rythme).


Toutes ces propriétés fonctionnelles, aussi puissantes soient-elles, ne sont que des moyens. Elles peuvent servir aussi bien des intérêts privés que des intérêts collectifs. La mine d'or de Rob MacEwen, de GoldCorp, reste dans les mains des actionnaires. Alors que l'encyclopédie Wikipédia appartient à tous. C'est là que se situe la frontière entre l'Open Source et la culture Libre.

Participation synergique

Le schéma suivant représente le passage d'une participation individuelle à une participation synergique. Il est applicable à tous les domaines. Plus on a confiance dans la capacité du groupe à produire ensemble une œuvre (mode d'emploi, PV de séance, dossier de présentation d'un projet, définition d'une notion dans une encyclopédie,...) plus on peut tendre vers la synergie.

À l'école par exemple, l'enseignant peut demander à l'élève de rendre un travail en lui remettant le document lui-même ou en postant un lien sur son portfolio. L'enseignant peut demander aux élèves de consulter leurs contributions respectives et de s'en inspirer, voire même de s'attribuer des évaluations réciproques qu'il pourra ensuite valider.

Exemple de méthode : obtenir une ou plusieurs évaluations spontanées de tiers ou de groupes de validation définis à l'avance. Les élèves peuvent aussi produire des projets communs en utilisant par exemple, un Wiki. L'occasion leur est ainsi donnée de « co-créer », de manière approfondie et concrète.

L'enseignant peut également inciter ses élèves à dépasser la simple utilisation de sources en ajoutant à des œuvres collectives leurs contributions essentielles. Ainsi, ils deviennent «  petits contributeurs de grandes œuvres  », plutôt que l'inverse. Ces différentes déclinaisons sont applicables aux secteurs du journalisme, de l'économie ou de la recherche scientifique. C'est le signal du degré de collaborativité d'une activité.

Voici quelques prérequis bien utiles pour comprendre et apprécier cette catégorisation des modes de collaborations :

A - Accepter l'idée que chaque activité est un projet. Que ce soit la promotion d'un festival, la récolte de patates ou la modification d'un cursus de langue étrangère, c'est un projet.

B - Utiliser des outils numériques, pour assurer une bonne fluidité de la communication. Sans courriel par exemple, difficile de faire circuler l'information au mieux aujourd'hui.

C - Accepter l'idée que dans un groupe de gestion de projet, la hiérarchie est basée sur le mérite (qualité et quantité des contributions), au moins un peu, et non pas seulement sur le statut professionnel (chef, sous-chef, assistant-e...). Par exemple, un photographe n'est ni spécialiste en rédaction ni en marketing, mais si ses idées rédactionnelles ou de stratégie de vente sont appréciables, elles devraient être considérées même ce n'est pas son "métier". Ainsi, chaque personne peut potentiellement donner le meilleur d'elle-même, sans limite artificielle de statut.

D - Contribuer à la coordination de la réalisation d'un tel projet dans un groupe de travail, et proposer un espace de travail transparent, les traces de chaque contribution permettant à chacun de voir l'évolution de la collaboration jusqu'au résultat.

Sur cette base, voici la taxonomie proposée par Florence Devouard, du moins collaboratif (1) au plus collaboratif(5) :

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1 - Dialogue. Une collaboration minimale, dans laquelle chacun a son pré carré, mais discute avec ses collègues pour connaître, informer, et apprendre parfois, sans choisir pour autant de "co-labourer" les champs ensemble.

2- Évaluation par les pairs (peer review). Là aussi, chacun travaille de son côté. Néanmoins le travail fourni par une personne va être vérifié par les collaborateurs. Cela permet de s'assurer de la qualité du travail fourni mais aussi de fournir un retour, des suggestions, des remarques ou des critiques. L'exemple classique est la relecture d'un article scientifique. Les relecteurs ne modifient pas le travail de l'auteur mais lui apportent des commentaires visant à améliorer l'article.

3 - Collaboration parallèle. Dans cette forme intermédiaire de collaboration (sur une échelle de 1 à 5), chacun fait sa part et la pose dans un pot commun. C'est encore un peu le « chacun pour soi » qui domine. Les collaborateurs travaillent en parallèle, côte à côte, chacun ne voyant pas forcément le travail de l'autre, mais faisant confiance au coordinateur. C'est souvent ce qui se passe dans le cadre de la rédaction d'un ouvrage collectif, dont les parties sont indépendantes les unes des autres mais ont un thème en commun.

4 - Collaboration séquentielle. Ce type de collaboration permet à chacun d'échanger sur la globalité du projet, puis chacun fait la part qui lui est impartie. Il n'intervient pas nécessairement sur le travail des autres, mais il en a connaissance, peut en suivre et en influencer l'évolution, ce qui lui permet d'ajuster sa collaboration au mieux pour la cohérence du tout. C'est généralement le cas lorsque le travail d'un collaborateur est impacté par le travail préalablement fait par un autre collaborateur. La situation se retrouve par exemple dans la rédaction d'un ouvrage à plusieurs auteurs. Ces derniers décident ensemble du thème du livre, de son déroulé, et de la répartition des chapitres à écrire, alors que chaque chapitre est directement dépendant des autres chapitres.

5 - Collaboration synergique. Dans cette formule, tous les participants au projet collaborent de toutes les manières possibles, à toutes les étapes de l'activité et sur toutes les parties du projet. Les collaborateurs sont multifonctionnels, même si chacun proposera des contributions liées à ses domaines d'expertise. Les taches ne sont pas attribuées, chacun s'impliquant en fonction de son expertise, de sa motivation, de sa disponibilité etc. C'est le principe même du wiki, qui a donné lieu au miracle Wikipedia. Chacun peut proposer ou corriger les textes, photos, etc. et les contributions de chacun se mèlent au sein d'un article collectif. Si la rédaction, l'orthographe et la grammaire des articles y est bonne, cela est dû au fait que dans la collaboration synergique, la coordination du projet fournit un environnement favorable, de bons outils et des moyens de conception idoines, adaptés aux besoins .

En conclusion : plus on a confiance en ses partenaires-collègues sur un projet, plus on est prêt à coopérer en ligne de manière performante, permettant à chacun de réaliser diverses contributions, de mettre en valeur divers talents. La confiance a deux sources dans la culture numérique :

- la confiance dans les outils, dans le fait qu'ils créent un terrain de communication éthique, équitable, transparent (ce qui est le cas des deux principaux logiciels de wiki : mediawiki qui opère wikipédia, et Xwiki pour la gestion de projets, tous deux sous licence libre GPL).

- la culture du "co", qui demande de faire confiance à ses collaborateurs, de se programmer à non plus seulement opérer dans son coin. On apprend encore malheureusement trop peu à l'école et en société à co-opérer, tant le dogme dominant reste axé sur la compétition (partager c'est perdre!) et sur l'idée (non prouvée) que la nature fonctionne selon la loi du plus fort, fort étant compris au sens "non coopératif".

Histoire vraie : Show me the code !

Issu de l'histoire de l'informatique libre, l'exemple suivant témoigne de nouvelles pratiques imposées par la culture Libre. Linus Torvalds, lorsqu'il a commencé à diffuser le logiciel Linux (1991), recevait de nombreux messages émanant de professionnels de l'informatique. Les uns et les autres lui suggéraient des modifications ou des améliorations, souvent complexes et longues à mettre en œuvre.

Pendant un certain temps, Torvalds fit profil bas : il estimait qu'il aurait tort de ne pas tirer parti de l'expérience de personnes plus expérimentées que lui. Il finit pourtant par se lasser des donneurs de leçons et répondit à ceux, toujours prêts à suggérer mais jamais à s'impliquer, que « Parler ne coûte rien. Montrez-moi plutôt le code » (Talk is cheap. Show me the code).

Il marquait ainsi sa préférence envers ceux qui lui faisaient une proposition solide, accompagnée d'une mise en œuvre fonctionnelle plutôt qu'à ceux qui se contentaient de prodiguer des conseils sans mettre la main à la pâte. Dans la culture Libre, chacun est invité à être acteur, et non simple consommateur. Celui qui fait ou se prend en main a plus de chance de gagner sa place, et donc de générer un revenu, que celui qui attend la solution de l'extérieur.

Notes et références

  1. Don Tapscott et Anthony D. Williams, Wikinomics, Édition Portfolio, 2006, traduit en français chez Pearson en 2007.
  2. Voir note ci-dessus.
  3. Un wiki est un site web dont les pages sont modifiables par les visiteurs afin de permettre l'écriture et l'illustration collaboratives des documents numériques qu'il contient. Il utilise un langage de balisage et son contenu est modifiable au moyen d’un navigateur web
  4. Voir l'article La rupture technologique, chapitre 1.
  5. Voir l'article Les propriétés fondamentales du numérique, chapitre 1.