L'économie du don

De Wiki livre Netizenship
Révision datée du 5 septembre 2011 à 09:06 par FabienF (discussion | contributions) (Version PDF et imprimée)

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Songez à un film, ou à un livre, ou même à un mode d'emploi sur le web. Quels que soient le sujet et le support, vous découvrez sans cesse des informations que vous trouvez très intéressantes. Alors l'idée vous prend de les copier pour les distribuer à vos amis. Est-ce légal ? Si les supports sont sous une licence dite "libre", oui. Vous pouvez d'ailleurs faire un don à auteur, pour l'encourager à poursuivre son œuvre. Car libre n'est pas gratuit. Libre, c'est la liberté d'accéder, d'utiliser, de modifier et de redistribuer une œuvre.

Modifier, par exemple en mettant spontanément en légende la traduction du documentaire dans la langue de votre pays. C'est techniquement et légalement possible, pour autant que la licence le permette. Et financièrement, la culture du don est aussi rémunératrice que la culture de l'usage exclusif. Mais notre pratique dominante, notre habitude, c'est d'imaginer que nous devons "protéger" les œuvres des pirates. En réalité, nos idées sont inspirées par d'autres, invariablement. On ne créée presque jamais en partant de rien. Et, plus important, vouloir brider la diffusion d'une œuvre, cela rend les utilisateurs esclaves d'un système de licences qui ne sert que les intérêts d'une minorité de producteurs. Car si l’œuvre documentaire est réalisée à compte d'auteur, l'auteur à tout intérêt à la mettre sous licence libre, afin d'assurer une audience la plus large possible, via Internet. Il a aussi intérêt à demander aux internautes de faire une contribution pour soutenir son travail. C'est ainsi que la fondation Wikimedia, qui gère Wikipedia, récolte plusieurs dizaines de millions par an. Et ce n'est pas la seule. De nombreux artistes choisissent ce modèle. Ils cassent la spirale négative des esclaves et des pirates, et ouvre la spirale positive du partage de la connaissance.

Un air de déjà vu

Petit retour en arrière, début du 19ème siècle, quelques familles régnantes se partagent les terres. Le commerce d'esclaves va bon train. Tout le monde accepte cet état de fait en étant convaincu qu'il n'y a pas d'autre solution. Seule une petite minorité s'élève contre l'esclavage : certains pirates, certains citoyens militants. Tous rappellent que l'esclavage n'est pas une fatalité, qu'il est possible de faire autrement, de permettre à chacun de bénéficier des mêmes chances. Certes, la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen[1] a déjà été publiée, mais son application est encore balbutiante.

Aujourd'hui, les ségrégations ont évolué. Comme à l'époque des colonies, il existe des pirates et des esclaves d'un côté et des hommes libres de l'autre. Mais vu la grande bascule vers une économie de la connaissance, c'est dans le domaine de la connaissance que les pouvoirs se font ou se défont. Ceux qui encouragent volontairement ou involontairement cette culture d'esclaves et de pirates concentrent leurs intérêts personnels sur le contrôle des flux d'information. Ils gardent solidement les rênes des outils pour produire de la connaissance. Ce contrôle, cette volonté d'exclusivité, c'est une tendance que certains surnomment le libéral-communisme. Elle est appliquée par les fondateurs de grandes entreprises comme Bill Gates de Microsoft, Steve Jobs d'Apple, Larry Ellison d'Oracle, Amazon, Yahoo et bien-entendu Google. Ce sont les nouveaux pôles de pouvoir dans cette ère numérique.

Contrôle de l'information

Ils sont rejoints par des magnats des médias qui étouffent les concurrents, favorisent la surveillance des utilisateurs, et surtout prônent l'interdiction de partager l'information. Demandez à Google, qui fournit ses services "gratuitement" de vous donner la liste de tout ce qu'il possède sur vous : vos habitudes de consommation, vos mots-clés de recherches... Réponse : secret professionnel. C'est le principe des fiches secrètes, qui ne servent que les intérêts de l'entreprise qui les possède, et dans un seul but : les revendre à d'autres entreprises dans le cadre de campagnes publicitaires ciblées, pour consommer toujours plus. Demandez à Facebook de vous laisser copier toutes les données que vous avez mis dans votre compte ; réponse : non, en créant un compte sur Facebook, vous acceptez de ne pas copier vos données. Vous pouvez tout de même le faire, mais c'est contraire au contrat que vous avez signé. Et ainsi, Facebook interdit à ses utilisateurs de transférer leurs images et textes postés sur Facebook sur un autre réseau social plus éthique.

Ces techniques commerciales rendent les fondateurs de ces nouvelles familles régnantes surpuissants. Ils dirigent l'économie, et influencent certaines orientations politiques. Ce sont ces mêmes multimilliardaires qui se réunissent ensuite pour lancer des fondations charitables. Leur fonctionnement, notamment celle de Bill & Melinda Gates, révèle de surprenantes contradictions. Selon une étude du Los Angeles Times, "41 % de ses actifs (hors titres d’Etat américains ou étrangers) – concernent des entreprises dont l’action contrarie ses objectifs philanthropiques ou ses préoccupations sociales."[2].

Dans l'univers numérique, certaines communautés font écho à l'action émancipatrice des pionniers du temps des colonies, qui luttèrent contre l'esclavage et l'exploitation de la majorité par une minorité. Ils promeuvent un monde virtuel globalisé et citoyen, sans pirates ni esclaves. Ils s'appuient sur le principe d'équité des chances cher aux fondateurs du Net et du Web. Un cyberespace indépendant. Leur seule garantie : la neutralité des réseaux et les succès chiffrés des mouvement de la culture libre tels que GNU, la GPL, Debian, Firefox, Open Office et bien sûr Wikipedia, pour ne citer qu'eux. Ils défendent l'image d'un savoir partagé par tous et favorisent les revenus générés par la vente de services et non d'une exclusivité. Ils proposent des alternatives fiables face aux tendances privatives qui se retrouvent dans tous les domaines: encyclopédies, vente de livres (Amazon VS Publie.net) vente de produits, hébergement de profils (Facebook VS Diaspora), moteurs de recherche (Google VS Scroogle). Ils disent non aux drogues qui rendent dépendants. Au final, on peut considérer que la tendance privative et libérale-communiste est le symptôme standard d'une situation nouvelle, la preuve que l'humanité a besoin de faire des erreurs pour se rendre compte de l'ampleur des inégalités qu'elle génère pour ensuite mieux recadrer et encourager l'équité et la justice sociale. Inversement, la tendance libre qui dénonce la spirale négative des esclaves et pirates se réclame du bien commun pour encourager l'émergence de pratiques durables, honnêtes, loyales. C'est une minorité émergente qui ne peut qu'obtenir gain de cause à long terme. Mais dans l'intervalle, c'est une petite minorité de libéraux-communistes qui se partagent sans scrupules le gâteau. Pour eux, la privatisation et l'accumulation des richesses est normale, c'est le fruit de leurs idées géniales. Ils passent sous silence le fait que leur génie se concentre essentiellement dans leur capacité à convaincre les investisseurs de leur donner le moyen d'imposer leur pouvoir dans leur domaine d'activité. Ils sont bien conscients que leur position n'est pas durable. Année après année, ils perdent du terrain au fruit d'une culture plus participative avec une meilleure répartition, autant des responsabilités que des bénéfices. Derrière le modèle libéral-communiste réside l'idée de l'ancien paradigme des familles régnantes sans scrupules qui, après avoir pris par la force, font la charité. Quant à la culture émergente du partage et du don, cette spirale positive, elle est comme toutes les cures de désintoxication : lente, profonde, difficile, mais juste et seule source de libération. Elle permet que tous les internautes puissent apprendre à pêcher, elle montre comment s'autonomiser plutôt que de dépendre de multinationales du show business et de l'informatique. Elle permet la liberté de choix.


Le Saviez-vous?

IBM, leader du secteur informatique des années 40 à nos jours, a su prendre le virage du libre dès les années 90. Aujourd'hui, IBM promeut largement cette tendance : ses revenus ne sont plus basés sur la vente d'un monopole mais bien sur un temps d'accompagnement permettant que des entreprises de toutes tailles adoptent des systèmes informatiques cohérents répondant à leurs besoins. Leur spécialité s'est réorientée dans le conseil et non plus la vente de matériel et, à ce titre, IBM reste une entreprise pionnière dans la gouvernance informatique. C'est notamment elle qui a investi des centaines de millions dans la promotion du système d'exploitation Linux.